Multinationales responsables: l’économie devrait entrer en matière
Qui peut rester indifférent à une pollution au mercure ou au travail des enfants? Sur le fond, la cause qui sous-tend l’initiative pour des multinationales responsables est juste. En revanche, dans sa forme juridique, l’initiative pose problème: la formulation et les responsabilités méritent d’être précisées, sans quoi de sérieuses questions d’interprétation risquent de perturber l’activité de nos entreprises et de les handicaper par rapport à d’autres basées hors de Suisse. Voulons-nous prendre le risque que cette initiative soit acceptée telle quelle? Non, car les conséquences pourraient en être désastreuses.
La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a largement soutenu l’idée d’un contre-projet le mois dernier. Sa commission soeur du Conseil national l’a en revanche refusé cette semaine. Les opposants comptent sur un rejet en bloc de l’initiative, dans la mesure où elle va trop loin. Mais le pari est risqué. C’est pourquoi un contre-projet me semble indispensable. Les acteurs économiques devraient y travailler et chercher un compromis avec les initiants. En début d’année, le Conseil fédéral a lui aussi rejeté l’idée d’un contre-projet, dans la mesure où il mène déjà conjointement deux plans d’action, l’un pour mettre en oeuvre les «principes directeurs relatifs aux droits de l’homme» selon l’ONU, et l’autre pour développer la responsabilité sociétale des entreprises. Economiesuisse préconise aussi de ne pas entrer en matière et encourage les mesures volontaires. Nestlé, Novartis, Roche, Coop, Migros et Trafigura, notamment, se sont déjà engagés dans cette voie.
Mais méfions-nous des initiatives à fort contenu émotionnel. Portée par des images chocs de travailleurs maltraités et de pollutions scandaleuses, l’initiative pour des multinationales responsables en est fait partie. Elle génère une solide sympathie chez nos concitoyens que les révélations des Paradise Papers n’ont fait que renforcer. Aujourd’hui, 77% des électeurs suisses et même 91% des Romands seraient prêts à voter oui, selon le dernier sondage gfs-zürich. On ne peut que saluer le but de cette initiative qui incite les entreprises suisses à être de plus en plus respectueuses de règles éthiques, de défense des droits humains et de l’environnement. Il ne faudrait pas en revanche imposer des standards de niveau suisse à l’ensemble des activités de nos entreprises à l’étranger, car cela relèverait de l’utopie.
Le processus doit être évolutif, en phase avec ce qui se fait dans d’autres pays. Il doit éviter de prétériter nos entreprises avec une législation qui serait sensiblement plus rigide qu’ailleurs. Globalement, cette initiative fait-elle de la Suisse une pionnière? Il semblerait que la communauté internationale prenne des mesures convergentes: le «Modern slavery act» est entré en vigueur en Grande-Bretagne en octobre 2015, la loi française sur le «Devoir de diligence» s’applique depuis mars dernier, un projet de loi contre le travail des enfants est en cours aux Pays-Bas et l’Union européenne va réguler les importations d’or, d’étain, de tungstène, de tantale. La Suisse ne ferait donc pas tout à fait cavalier seul.
Dans son contenu, l’initiative d’origine va toutefois trop loin en ce qui concerne le devoir de diligence et l’étendue de la responsabilité des entreprises concernées: faire porter aux entreprises dont le siège est en Suisse la responsabilité de dommages causés par l’ensemble de leurs filiales et sous-traitants serait excessif; de même que l’obligation faite aux entreprises d’examiner, de prévenir et de faire des rapports sur l’impact social et environnemental de leur activité n’importe où dans le monde. Les PME devraient en être exemptées. C’est à ce titre que le contre-projet du Conseil des Etats apportait des précisions judicieuses, limitant clairement l’assiette de cette responsabilité. Mais celui-ci n’ayant pas été retenu, il faudra remettre le travail sur le métier. Il s’agirait à mon avis de mieux cerner le profil d’activité des entreprises concernée, de clarifier la nature des infractions (civiles, non pénales) et de limiter l’étendue de la responsabilité aux filiales directes. Ces précisions écarteraient le danger d’une avalanche de procédures juridiques, inhérente à des risques mal définis.
Pour finir, si les milieux économiques travaillaient à l’élaboration d’un tel un contre-projet, il faudrait en contrepartie que les initiants soient prêts à discuter avec eux et acceptent l’idée de retirer leur texte. Cette démarche ne coule pas de source, mais la tenter en vaut la peine. Car un compromis plus équilibré bénéficierait clairement à tous.
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L’initiative pour des multinationales responsables génère une solide sympathie chez nos concitoyens que les révélations des Paradise Papers n’ont fait que renforcer