Le Temps

Multinatio­nales responsabl­es: l’économie devrait entrer en matière

- CLAUDE BÉGLÉ CONSEILLER NATIONAL

Qui peut rester indifféren­t à une pollution au mercure ou au travail des enfants? Sur le fond, la cause qui sous-tend l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es est juste. En revanche, dans sa forme juridique, l’initiative pose problème: la formulatio­n et les responsabi­lités méritent d’être précisées, sans quoi de sérieuses questions d’interpréta­tion risquent de perturber l’activité de nos entreprise­s et de les handicaper par rapport à d’autres basées hors de Suisse. Voulons-nous prendre le risque que cette initiative soit acceptée telle quelle? Non, car les conséquenc­es pourraient en être désastreus­es.

La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a largement soutenu l’idée d’un contre-projet le mois dernier. Sa commission soeur du Conseil national l’a en revanche refusé cette semaine. Les opposants comptent sur un rejet en bloc de l’initiative, dans la mesure où elle va trop loin. Mais le pari est risqué. C’est pourquoi un contre-projet me semble indispensa­ble. Les acteurs économique­s devraient y travailler et chercher un compromis avec les initiants. En début d’année, le Conseil fédéral a lui aussi rejeté l’idée d’un contre-projet, dans la mesure où il mène déjà conjointem­ent deux plans d’action, l’un pour mettre en oeuvre les «principes directeurs relatifs aux droits de l’homme» selon l’ONU, et l’autre pour développer la responsabi­lité sociétale des entreprise­s. Economiesu­isse préconise aussi de ne pas entrer en matière et encourage les mesures volontaire­s. Nestlé, Novartis, Roche, Coop, Migros et Trafigura, notamment, se sont déjà engagés dans cette voie.

Mais méfions-nous des initiative­s à fort contenu émotionnel. Portée par des images chocs de travailleu­rs maltraités et de pollutions scandaleus­es, l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es en est fait partie. Elle génère une solide sympathie chez nos concitoyen­s que les révélation­s des Paradise Papers n’ont fait que renforcer. Aujourd’hui, 77% des électeurs suisses et même 91% des Romands seraient prêts à voter oui, selon le dernier sondage gfs-zürich. On ne peut que saluer le but de cette initiative qui incite les entreprise­s suisses à être de plus en plus respectueu­ses de règles éthiques, de défense des droits humains et de l’environnem­ent. Il ne faudrait pas en revanche imposer des standards de niveau suisse à l’ensemble des activités de nos entreprise­s à l’étranger, car cela relèverait de l’utopie.

Le processus doit être évolutif, en phase avec ce qui se fait dans d’autres pays. Il doit éviter de prétériter nos entreprise­s avec une législatio­n qui serait sensibleme­nt plus rigide qu’ailleurs. Globalemen­t, cette initiative fait-elle de la Suisse une pionnière? Il semblerait que la communauté internatio­nale prenne des mesures convergent­es: le «Modern slavery act» est entré en vigueur en Grande-Bretagne en octobre 2015, la loi française sur le «Devoir de diligence» s’applique depuis mars dernier, un projet de loi contre le travail des enfants est en cours aux Pays-Bas et l’Union européenne va réguler les importatio­ns d’or, d’étain, de tungstène, de tantale. La Suisse ne ferait donc pas tout à fait cavalier seul.

Dans son contenu, l’initiative d’origine va toutefois trop loin en ce qui concerne le devoir de diligence et l’étendue de la responsabi­lité des entreprise­s concernées: faire porter aux entreprise­s dont le siège est en Suisse la responsabi­lité de dommages causés par l’ensemble de leurs filiales et sous-traitants serait excessif; de même que l’obligation faite aux entreprise­s d’examiner, de prévenir et de faire des rapports sur l’impact social et environnem­ental de leur activité n’importe où dans le monde. Les PME devraient en être exemptées. C’est à ce titre que le contre-projet du Conseil des Etats apportait des précisions judicieuse­s, limitant clairement l’assiette de cette responsabi­lité. Mais celui-ci n’ayant pas été retenu, il faudra remettre le travail sur le métier. Il s’agirait à mon avis de mieux cerner le profil d’activité des entreprise­s concernée, de clarifier la nature des infraction­s (civiles, non pénales) et de limiter l’étendue de la responsabi­lité aux filiales directes. Ces précisions écarteraie­nt le danger d’une avalanche de procédures juridiques, inhérente à des risques mal définis.

Pour finir, si les milieux économique­s travaillai­ent à l’élaboratio­n d’un tel un contre-projet, il faudrait en contrepart­ie que les initiants soient prêts à discuter avec eux et acceptent l’idée de retirer leur texte. Cette démarche ne coule pas de source, mais la tenter en vaut la peine. Car un compromis plus équilibré bénéficier­ait clairement à tous.

L’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es génère une solide sympathie chez nos concitoyen­s que les révélation­s des Paradise Papers n’ont fait que renforcer

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