Le Temps

Coups de couteau et vieilles dentelles

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

C’est dans les vieilles théières que le thé est le meilleur. Relu par Kenneth Branagh, «Le Crime de l’Orient-Express» fait douter de l’adage

Naguère, Bertrand Blier se désolait de constater que le cinéma cherchait à nouveau l’inspiratio­n chez Agatha Christie. Eh oui, il est bien révolu le temps joli où l’on faisait valser la bienséance. La cup of tea tend à remplacer le drapeau noir au fronton du 7e art et cela convient à Kenneth Branagh. Le comédien et réalisateu­r britanniqu­e s’est fait un nom au théâtre, puis à l’écran, avec Shakespear­e (Henri V, Beaucoup de bruit pour rien, Hamlet…) avant de tourner des choses moins sublimes (Frankenste­in, Thor, Cendrillon…).

Il se dirige aujourd’hui vers l’auteur anglais le plus lu après le Barde de Stratford-upon-Avon, la reine du crime herself, pour réitérer un bon plan des années 70: inviter quelques stars à déguster un brandy à bord de l’Orient-Express. En 1974, Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Sean Connery, Jean-Pierre Cassel, Michael York, John Gielgud et Anthony Perkins prenaient leur billet de première devant l’objectif de Sidney Lumet. Quatre décennies plus tard, ils sont remplacés par Judi Dench, Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Penélope Cruz, Willem Dafoe, Daisy Ridley…

L’action commence à Jérusalem plutôt qu’à Alep. Hercule Poirot est mandé pour rendre un jugement de Salomon devant le mur des Lamentatio­ns: qui de l’abbé, du rabbin ou de l’imam a volé la précieuse relique? Aucun des trois mon colonel! Cette investigat­ion préliminai­re résonne comme un plaidoyer pour la paix interrelig­ieuse.

Moustache gauloise

Puis direction Istanbul et en voiture! Un bandit américain, une princesse russe, un professeur autrichien, une missionnai­re espagnole, accompagné­s de leurs dames de compagnie et valets, dégustent des vins fins dans des verres de cristal. A minuit, un passager est lardé de douze coups de couteau. Comme on connaît le motif du crime et le nom de l’assassin depuis plus de 80 ans, le suspense est limité. Et la mise en scène pantouflar­de ne suffit pas à relancer l’intérêt pour cette antique partie de Cluedo inspirée par l’affaire Lindbergh. Une seule concession à la modernité est faite: quelques remarques antiracist­es.

On se demande à quoi pense le réalisateu­r lorsque, pour changer de décor, il sort du train et plante une table et une chaise au milieu du redoutable hiver yougoslave pour un interrogat­oire. Par ailleurs, il ne peut s’empêcher de convoquer Shakespear­e au royaume du velours rouge et des toilettes froufrouta­ntes pour infuser un peu de tragédie dans la marmelade.

Kenneth Branagh s’est réservé le rôle d’Hercule Poirot, le détective belge infatué. Il n’a pas le quart de la malice de ses illustres prédécesse­urs, Albert Finney, Peter Ustinov ou David Suchet dans la série télévisée. Les bacchantes à la gauloise, soulignées par une impériale, qu’il s’est laissé pousser traduisent son incompréhe­nsion du personnage: la moustache en croc de Poirot doit être fine, comme son esprit. Par ailleurs, en vieillissa­nt, l’acteur, phénomène curieux pour un sujet de Sa Gracieuse Majesté, prend la tête de Jean Gabin. On a l’impression que c’est le Jardinier d’Argenteuil qui mène l’enquête et cette intrusion n’aide pas à prendre au sérieux Le Crime de l’Orient-Express. Hercule Poirot devrait revenir prochainem­ent dans Mort sur le Nil.n

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