Le costume folklorique sous tous ses plis
La femme abordée sous l’angle du costume régional apparaît corsetée par la tradition, mais aussi intégrée dans la vie sociale
Au Kunstmuseum de Soleure, un vaste panorama pictural s’attache à la présence du vêtement traditionnel dans l’art suisse, au fil des deux derniers siècles. Ou quand Cuno Amiet côtoie Pipilotti Rist
Depuis les représentations sans fard, austères même, réalisées par Josef Reinhard ou Franz Anton Leu à la fin du XVIIIe siècle, jusqu’aux versions ironiques offertes par les artistes contemporains, le costume folklorique est particulièrement bien représenté dans l’art helvétique en général. Et au Kunstmuseum de Soleure en particulier, musée qui possède, entre autres, le tableau monumental Richesse du soir de Cuno Amiet, version moderniste de femmes en costumes de diverses couleurs dans la prairie. L’idée de faire du costume le thème d’une exposition – Die Pracht der Tracht, «splendeur du costume» – s’est donc imposée presque naturellement au directeur de l’institution, Christoph Vögele, et à Marcel Just, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Il en résulte un panorama qui séduit souvent, trouble parfois, entre nostalgie et réflexion, romantisme et intentions critiques.
Pipilotti Rist, décalée
A un bout du parcours, on trouve des images pas toujours idylliques de paysans dans des vêtements sophistiqués et colorés propres aux différents cantons. A l’autre bout, l’image choc de Pipilotti Rist qui, dans une visée féministe et décalée, met à mal le mythe de la suissitude (Die Hilfe, 2004, dont le modèle, en rouge et blanc, porte la couronne de dentelle comme une auréole) ou une vidéo décoiffante de Roman Signer conçue pour l’occasion (Starker Wind). Entre ces deux moments, de nombreuses vignettes, d’une grande finesse, montrent ces fameux costumes populaires, typiques des régions et qui révèlent aussi l’appartenance sociale: ces signes distinctifs jouent alors un rôle politique, notamment à l’heure des changements de régime.
Hormis les portraits en pied, dont le but est de permettre d’identifier le statut et l’origine des modèles, et à côté des esquisses et miniatures emplies de charme, signées notamment Ludwig Vogel, les peintres tendent à intégrer dans la nature les personnages et leur riche costume. Que cela soit dans le cadre de fêtes populaires (Charles Giron ou Jakob Christoph Miville), en décrivant les moments d’un quotidien revisité (Albert Anker), ou alors en suggérant, sous les traits d’une beauté idéale, une vision nostalgique de la patrie – la charmante Fille d’Interlaken dont Franz Xaver Winterhalter donne un portrait romantique, ou ces trois Lucernoises vues par David Sulzer.
Plus proches de nous, les peintres du Valais et d’autres régions de montagne, comme Edouard Vallet, Giovanni Segantini, Frank Buchser, Cuno Amiet bien sûr et Ernest Biéler, ou ce Charles Giron que l’on découvre en portraitiste troublant de l’enfance, insistent sur l’expressivité picturale sans renoncer au caractère passéiste du motif. L’harmonie obtenue fait de leurs peintures des réussites indéniables. L’exposition inclut des affiches et des films qui nous font pénétrer de plain-pied dans la réalité, et des pièces de costumes, coiffes, chaînes en argent, dentelles, qui évoquent l’aspect ethnologique. A travers toutes ces représentations, centrées sur la femme (plus rares sont les costumes masculins représentés), c’est enfin le rôle et l’image de celle-ci qui sont abordés.
Scènes de procession
En effet, la femme abordée sous l’angle du costume régional apparaît corsetée par la tradition, sans doute, mais aussi intégrée dans la vie sociale et religieuse (les scènes de sortie de la messe et de processions) et heureuse dans la plénitude de sa maternité et de son activité. Même si elle est paysanne, servante ou maîtresse de maison plutôt que pin-up! En somme, cette approche de l’art suisse des deux derniers siècles, sous l’angle de «la splendeur du costume», permet de tirer des conclusions nuancées quant aux spécificités de cet art national et au vécu des modèles.
En parallèle, le même musée rend hommage au collectionneur Josef Müller, après l’exposition consacrée l’an dernier à sa soeur, Gertrud Dübi-Müller. Cette dernière fait l’objet d’un ouvrage que signent conjointement sa nièce, Monique Barbier-Mueller, et Cäsar Menz. S’y trouve contée l’histoire d’une collectionneuse incroyablement précoce, tôt orpheline et qui certes, tout comme ses frère et soeurs, a eu très vite les moyens de satisfaire sa passion. D’une femme de tête et de coeur, et de goût, qui s’est liée avec les peintres de son temps, tout particulièrement avec Cuno Amiet, Giovanni Giacometti et Ferdinand Hodler – celui-ci l’a fait poser pour pas moins de dix-sept tableaux, reproduits dans l’ouvrage. Conservée au Kunstmuseum de Soleure, la collection de Gertrud Dübi-Müller compte 190 oeuvres et forme un tout qui illustre notamment les cheminements empruntés par les peintres figuratifs dans le premier quart du XXe siècle.
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