La Suisse apporte son savoir-faire à la Bolivie
DÉVELOPPEMENT Sous l’égide de leurs présidents, Evo Morales et Doris Leuthard, les deux Etats signent une déclaration d’intention pour réaliser une liaison ferroviaire transocéanique à travers le sous-continent sud-américain
Michele Molinari est un homme heureux. L’ingénieur de Winterthour, patron du groupe Molinari Rail, était sans doute le spectateur le plus enjoué lors de la cérémonie de signature d’un protocole d’accord entre la Suisse et la Bolivie, jeudi à Berne. Cette déclaration d’intention scelle la coopération qui se dessine entre les deux pays pour réaliser un corridor ferroviaire de 3700 kilomètres entre l’Atlantique et le Pacifique, via le Brésil, la Bolivie et le Pérou. Or, Michele Molinari travaille depuis plusieurs années à ce projet nommé Bioceánico. «Cette signature est un appui capital pour nous. Les contacts politiques sont essentiels, Doris Leuthard l’a bien compris. Elle a compris qu’on pouvait rendre la réalisation d’un projet plus facile avec peu d’efforts», commente-t-il.
Estimée entre 12 et 15 milliards de dollars, la liaison ferroviaire transocéanique, qui reliera le port brésilien de Santos à celui, péruvien, d’Ilo, sera financée par les pays traversés, avec l’appui de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement (BID). La Suisse n’investira pas un sou, mais elle met son savoir-faire technique et industriel à disposition. Un consortium germano-suisse de quatorze entreprises, dont Alpiq Infra, Bombardier, DB Engineering & Consulting, Molinari Rail, Siemens, Stadler Rail ou encore Thales, compte le réaliser. Les entreprises suisses partenaires bénéficieront du soutien de l’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (SERV, selon son acronyme allemand).
L’Office fédéral des transports (OFT) est aussi de la partie. «Nous bénéficions des expériences menées avec la construction des NLFA [nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes] pour lancer, concevoir et contrôler un projet. Nous mettons nos compétences à disposition des autorités boliviennes», précise son directeur, Peter Füglistaler. C’est lui qui, au nom de la Suisse, a signé la déclaration d’intention avec, pour la partie bolivienne, le ministre des Travaux publics, des services et du logement, Milton Claros Hinojosa. «Nous sommes ravis de pouvoir bénéficier de l’expertise et du savoir-faire européens dans le domaine ferroviaire, qui est bien réel quand on voit les tunnels qui ont été construits ici. Ce consortium germano-suisse a une grande valeur pour nous. La ligne transocéanique permettra de diminuer le coût du transport des marchandises et de réduire les temps de parcours pour l’importation et l’exportation», souligne Evo Morales. Il compte d’autant plus sur cette nouvelle liaison que, depuis l’accession au pouvoir de cet ancien
cocalero, l’une de ses priorités a été de redonner aux Boliviens les moyens d’exploiter eux-mêmes leurs ressources. Mais il ne voit aucun paradoxe à confier ce mandat à des entreprises privées européennes.
«Sans infrastructure nouvelle, le pays n’avance plus. Notre projet a l’avantage de protéger les ressources, la population et le climat en transférant le transport des marchandises de la route vers le rail», commente Michele Molinari, qui a déjà un pied dans le pays puisque son groupe est chargé de construire le tram de la ville de Cochabamba, à 2500 mètres d’altitude. Ce contrat de 452 millions de dollars sert en quelque sorte de «lièvre» pour la construction du Bioceánico, qui reliera la plaine amazonienne au Pacifique en passant par Cochabamba et l’Altiplano, à 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce tramway s’ajoute à une autre infrastructure austro-suisse: le téléphérique qui relie La Paz, capitale accrochée à la pente au fond d’une cuvette géologique, à El Alto, sur l’Altiplano, a été construit par Doppelmayr/Garaventa.
Accord concret dans un an?
Passage obligé parce qu’il concrétise la caution politique de ce mégaprojet, le protocole d’accord n’est toutefois qu’une goutte d’eau par rapport aux travaux à entreprendre ces prochaines années. «Il faudra un modèle économique, car le transport de fret n’est pas rentable en soi. Il y aura encore beaucoup de contrats et d’accords à conclure», résume Doris Leuthard. Dès janvier, une commission technique planifiera les étapes suivantes. Evo Morales et Michele Molinari sont convaincus qu’ils pourront franchir une nouvelle étape dans une année, avec la signature d’un accord concret sur la frontière entre la Bolivie et le Brésil. Le président prévoit d’ores et déjà d’inviter la chancelière allemande, Angela Merkel, ainsi que, pour la Suisse, Doris Leuthard ou Alain Berset, qui sera président de la Confédération en 2018. La Bolivie espère mettre sa nouvelle ligne en service en 2025. Le calendrier est jugé réaliste par Michele Molinari, mais il paraît très ambitieux.
«Nous sommes ravis de pouvoir bénéficier de l’expertise et du savoir-faire européens dans le domaine ferroviaire»
EVO MORALES, PRÉSIDENT BOLIVIEN