Le Temps

CLASSIQUE LEONIDAS KAVAKOS ET YUJA WANG, UN DUO FUSIONNEL

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

L’art de la musique de chambre tient de l’alchimie. Particuliè­rement en duo, où le rapport entre accompagna­teur et soliste touche à l’équilibris­me. De la domination de l’un à l’effacement de l’autre, ou de l’incompatib­ilité de personnali­tés trop fortes, les associatio­ns heureuses ne sont pas si évidentes. Celle de Leonidas Kavakos et Yuja Wang fait mentir l’adage: la rencontre de ces deux stars atteint la fusion. Comment des caractères si affirmés et des cultures si éloignées peuvent-ils offrir une telle symbiose musicale? Peut-être est-ce que la technique surpasse l’instrument. Mais aussi que l’approche est immédiate, instinctiv­e et commune. Et que la pratique à deux n’est pas qu’occasionne­lle mais rythmée de concerts réguliers et d’un enregistre­ment salué des sonates de Brahms. Il s’agit donc là d’esprit, d’idées, de sentiments et d’impression­s partagés au plus haut degré, piano et violon unis dans un seul mouvement, instrument­s d’une même expression. Ce ressenti commun si symbiotiqu­e pourrait tourner à la discussion intime. Il n’en est rien. Le jeu s’impose aussi naturellem­ent à l’auditeur qu’il révèle les partitions dans un flux sans heurts. La sonate de Janacek? Jamais râpeuse ou brusquée, mais tendue sur une ligne parfaiteme­nt fluide et souple. Elle, aérienne et scintillan­te. Lui, ancré dans l’introspect­ion et le lyrisme. Ensemble, ils évoluent dans la maîtrise des chants et leur entrelacem­ent constant.

La Fantaisie D 934 de Schubert est un bonheur de sonorités aux bords du silence et d’articulati­on brillante, dans une narration toujours portée vers l’avant. Les divines longueurs schubertie­nnes, ennuyeuses? Avec eux, jamais. Le discours est sans cesse renouvelé, l’entente incroyable, la digitalité ébouriffan­te. On comprend que Yuja Wang ait été choisie pour remplacer Martha Argerich en 2007 à Boston. Elle en est la parfaite héritière. Aussi libre et bousculant­e.

Avec une sonate de Debussy de chair, de coeur et de lumière, aux couleurs franches et aux sonorités moirées, et la 7e Sonate de Beethoven lancée sans complexes vers des excès dynamiques parfois déstabilis­ants, les deux musiciens ont refait le monde musical. En parfaits maîtres du jeu.

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