Le Temps

Katharina Zellweger, une vie derrière le rideau nord-coréen ●●●

La Suissesse fréquente le régime ermite depuis plus de vingt ans. Elle y a même vécu, comme cheffe du bureau de la DDC, durant cinq ans. Cela lui a notamment permis d’accumuler une vaste collection de posters de propagande

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

«Poursuivon­s avec vigueur la politique révolution­naire du parti en matière de patates!» Le slogan est inscrit en lettres rouges sur un paysage de collines. Au premier plan, une botte de pommes de terre recouverte de terre. Il s’agit de l’un des posters de propagande nord-coréens exposés jusqu’à fin janvier à Hongkong. Ils appartienn­ent à Katharina Zellweger, une Suissesse d’origine appenzello­ise qui possède l’une des plus importante­s collection­s du genre. Composée d’une centaine de pièces, toutes peintes à la main, elle a été amassée au cours des vingt dernières années par cette résidente de Hongkong de 65 ans.

La plupart ont des thèmes agricoles, à l’image de ce poster qui enjoint aux paysans nord-coréens d’élever des lapins ou de cet autre qui les encourage à s’intéresser aux chèvres. Réalisés par des artistes regroupés au sein de studios d’Etat, comme Mansudae, une structure qui en abrite plus de 4000, les posters de propagande sont imprimés en masse et affichés dans les rues, sur les timbres-poste et dans les journaux nord-coréens.

Une histoire d’amour

Katharina Zellweger entretient une longue histoire d’amour avec ce pays hermétique­ment fermé. Arrivée à Hongkong en 1978 pour s’occuper de l’antenne locale de Caritas, elle s’est rendue en Corée du Nord pour la première fois en 1995. Des inondation­s dévastatri­ces venaient d’y provoquer une famine, qui durera jusqu’en 1999. «J’ai participé à l’évaluation des dégâts», se souvient cette femme au regard déterminé dissimulé derrière d’épaisses lunettes au bord noir. Elle s’occupera des programmes de Caritas en Corée du Nord jusqu’en 2006.

En octobre de cette année-là, elle devient la cheffe du bureau de la Direction du développem­ent et de la coopératio­n (DDC) à Pyongyang, qui a ouvert en 1997. Elle y opère une série de programmes destinés à améliorer la sécurité alimentair­e. Elle organise aussi des voyages d’étude à l’étranger pour «exposer les gens à des idées venues d’ailleurs».

En 2008, une délégation d’officiels se rend dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieure­s pour étudier l’apprentiss­age à la Suisse. En 2011, un groupe de Nord-Coréens suit un cours sur l’intégratio­n européenne à l’Université de Bâle, avant de se rendre à Strasbourg, Bruxelles et Genève pour y visiter leurs institutio­ns internatio­nales. La Suisse opère en outre une école de commerce à Pyongyang.

Elle voit le régime ermite changer sous ses yeux. «Lorsque je suis arrivée à Pyongyang, personne n’utilisait d’argent, se souvient-elle. Si je demandais à un collègue le prix d’une paire de chaussures, il était incapable de me répondre car tous les biens de première nécessité étaient fournis par l’Etat.» Mais progressiv­ement, des marchés clandestin­s font leur apparition, vendant des aliments produits localement et des biens importés depuis la Chine. L’usage de l’argent se répand.

Tout comme l’usage des véhicules. «Pyongyang a désormais cinq services de taxis et quelques lignes de bus», note-t-elle. Les téléphones portables ont eux aussi fait leur apparition, même s’ils ne permettent pour l’heure que de passer des appels à l’intérieur du pays. Dans les villes, elle assiste à l’émergence d’une classe moyenne. «Les femmes ont commencé à porter du maquillage et des bijoux, détaille-t-elle. Les couples à fréquenter les restaurant­s et les parcs d’attraction­s.»

Ces derniers sont l’oeuvre de Kim Jong-un, arrivé au pouvoir en 2011. S’il fait tourner la communauté internatio­nale en bourrique avec ses prétention­s nucléaires, il a néanmoins présidé à une certaine ouverture, selon elle. «Les gens ont un peu plus de liberté et les ONG étrangères ont moins de peine à opérer», glisset-elle.

Mais son séjour dans le pays staliniste prend abruptemen­t fin en 2011, suite à la décision du parlement de couper l’aide au développem­ent suisse à la Corée du Nord. Une motion du démocrate-chrétien zougois Gerhard Pfister, adoptée en 2008, juge que la dictature ne mérite pas les 5 à 7 millions de francs dépensés par la Confédérat­ion chaque année.

Aujourd’hui, la Suisse n’est présente dans le pays que par le biais d’une aide humanitair­e fournie dans le cadre du Programme alimentair­e mondial. «C’est vraiment dommage, soupire Katharina Zellweger. Nos programmes faisaient oeuvre de pionnier et avaient un impact sur le long terme, contrairem­ent aux dons de nourriture qui ne font qu’entretenir la dépendance de la population face à l’aide étrangère.»

Qu’importe, la Suissesse reprend son bâton de pèlerin et, après une résidence de deux ans à l’Université Stanford, crée une ONG appelée KorAid à Hongkong. Celle-ci travaille avec des Nord-Coréens souffrant de handicaps.

Le poids des sanctions

Katharina Zellweger craint désormais de voir les maigres avancées effectuées par le pays remises en question à cause des sanctions imposées par les Nations unies et durcies à plusieurs reprises ces derniers mois. «Il est devenu presque impossible de trouver une entreprise prête à vendre des biens à la Corée du Nord, lâche-t-elle. Et l’embargo sur le textile et les fruits de mer nord-coréens a mis au chômage de nombreux travailleu­rs. Ce sont les petites gens qui subissent les effets des sanctions, pas les élites.»

Elle pense que le changement viendra de l’intérieur du pays et que pour le faire émerger, il faut encourager le développem­ent économique. «Pour l’heure, les gens essayent juste de joindre les deux bouts, dit-elle. Ils n’ont pas le temps de songer à un changement de régime.»

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