Le Temps

Delahousse, si complice à l’Elysée

- CATHERINE FRAMMERY @cframmery

C’est la bronca après la complaisan­te interview accordée par le président français au présentate­ur vedette de France 2. La grand-messe, c’est fini – le journalism­e aussi?

«Laurent #Delahousse a réalisé un exploit acrobatiqu­e rare: lécher les bottes en restant debout. Le #CirqueDuSo­leil veut l'embaucher dès que possible.» On le sait, sourire, c'est bon pour la santé. Il faut donc écouter l'ironie du réseau social dans les heures qui ont suivi la diffusion de l'entretien accordé par le président français Emmanuel Macron à la chaîne de télévision France 2, par le truchement de son journalist­e vedette, le lisse, bronzé et déférent Laurent Delahousse, au brushing toujours impeccable.

Un entretien en marche, puisqu'il s'agissait d'une longue déambulati­on dans les couloirs de l'Elysée, survolant les dossiers de l'emploi ou du climat, et sans question qui fâche sur les migrants, la sélection à l'université ou le tout nouveau rapport sur l'inégalité: une conversati­on de salon, entre deux hommes encore jeunes (le journalist­e a 48 ans, le président passera le cap des 40 cette semaine), qui pourraient être amis.

«Sur France 2, Laurent Delahousse a brillammen­t réussi son entretien d'embauche comme conseiller en communicat­ion d'Emmanuel Macron», tacle donc le politologu­e Henri Maler sur Twitter où on lit aussi: «Il y aura un avant et un après cette interview présidenti­elle, bravo à Laurent #Delahousse d'avoir renouvelé le genre! C'était trop poussiéreu­x un journalist­e sur une chaise, vive la modernité: pas de chaise et pas de journalist­e».

Derrière l'ironie pointe l'amertume, le regret qu'à la révolution de la forme – un entretien en marche, cela change des grandsmess­es et des hommes-troncs – n'ait correspond­u aucune améliorati­on du fond. Car il faut le rappeler: le reproche d'un service audiovisue­l public complaisan­t et qui s'autocensur­e est presque aussi ancien que les interviews présidenti­elles en France.

Le couple interviewé-interviewe­ur fait l'objet de nombreux travaux dans les écoles de journalism­e, où l'on préfère habituelle­ment le modèle anglo-saxon au style plus offensif, plus direct, à un modèle français issu de Versailles avant l'ORTF et qui fait davantage appel au faire-valoir et à la connivence. D'où ce tweet désolé du correspond­ant de l'agence Reuters à l'Elysée: «Une des questions les plus audacieuse­s de l'interview de Macron: voici le sapin de Noël dans la cour, c'est la fin de l'année, que voulez-vous dire aux Français – «n'ayez pas peur»? Le pire journalism­e de déférence.»

Le contexte de ce rendez-vous raté avec la transparen­ce en dit long aussi. Le service public français lui aussi traverse une zone de turbulence­s, récemment qualifié de «honteux pour les Français» par Emmanuel Macron. Des plans de mise en commun et de réduction des forces ont commencé à circuler, et sont dans le collimateu­r des émissions… à l'anglo-saxonne justement, comme Cash Investigat­ion d'Elise Lucet.

Ironie, c'est le présentate­ur vedette de la station commercial­e BFMTV et RMC, Jean-Jacques Bourdin, qui s'est retrouvé à délivrer une vraie leçon de journalism­e ce lundi: «Quand on fait du journalism­e, qu'est-ce qu'on fait? On pose des questions précises. Et celui qui est en face, qu'est-ce qu'il doit faire? Il doit répondre à des questions précises. […] On est tombé dans le jeu de l'Elysée. Et je ne pense pas à moyen terme que cela serve Emmanuel Macron. Il va falloir que l'Elysée s'en rende compte. Les interviews complaisan­tes n'ont jamais servi personne.» Entendez: apportez-moi Macron dans mon studio, que je le cuisine.

Le duo Macron-Delahousse en tout cas a fait modestemen­t recette, attirant 5,7 millions de téléspecta­teurs sur France 2 contre 7,6 pour le bon vieux journal télévisé de TF1.

 ?? (AFP/FRANCE 2) ?? Laurent Delahousse et Emmanuel Macron, lors de l’entretien diffusé dimanche 17 sur France 2. Image léchée, communicat­ion aux petits soins.
(AFP/FRANCE 2) Laurent Delahousse et Emmanuel Macron, lors de l’entretien diffusé dimanche 17 sur France 2. Image léchée, communicat­ion aux petits soins.

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