Delahousse, si complice à l’Elysée
C’est la bronca après la complaisante interview accordée par le président français au présentateur vedette de France 2. La grand-messe, c’est fini – le journalisme aussi?
«Laurent #Delahousse a réalisé un exploit acrobatique rare: lécher les bottes en restant debout. Le #CirqueDuSoleil veut l'embaucher dès que possible.» On le sait, sourire, c'est bon pour la santé. Il faut donc écouter l'ironie du réseau social dans les heures qui ont suivi la diffusion de l'entretien accordé par le président français Emmanuel Macron à la chaîne de télévision France 2, par le truchement de son journaliste vedette, le lisse, bronzé et déférent Laurent Delahousse, au brushing toujours impeccable.
Un entretien en marche, puisqu'il s'agissait d'une longue déambulation dans les couloirs de l'Elysée, survolant les dossiers de l'emploi ou du climat, et sans question qui fâche sur les migrants, la sélection à l'université ou le tout nouveau rapport sur l'inégalité: une conversation de salon, entre deux hommes encore jeunes (le journaliste a 48 ans, le président passera le cap des 40 cette semaine), qui pourraient être amis.
«Sur France 2, Laurent Delahousse a brillamment réussi son entretien d'embauche comme conseiller en communication d'Emmanuel Macron», tacle donc le politologue Henri Maler sur Twitter où on lit aussi: «Il y aura un avant et un après cette interview présidentielle, bravo à Laurent #Delahousse d'avoir renouvelé le genre! C'était trop poussiéreux un journaliste sur une chaise, vive la modernité: pas de chaise et pas de journaliste».
Derrière l'ironie pointe l'amertume, le regret qu'à la révolution de la forme – un entretien en marche, cela change des grandsmesses et des hommes-troncs – n'ait correspondu aucune amélioration du fond. Car il faut le rappeler: le reproche d'un service audiovisuel public complaisant et qui s'autocensure est presque aussi ancien que les interviews présidentielles en France.
Le couple interviewé-intervieweur fait l'objet de nombreux travaux dans les écoles de journalisme, où l'on préfère habituellement le modèle anglo-saxon au style plus offensif, plus direct, à un modèle français issu de Versailles avant l'ORTF et qui fait davantage appel au faire-valoir et à la connivence. D'où ce tweet désolé du correspondant de l'agence Reuters à l'Elysée: «Une des questions les plus audacieuses de l'interview de Macron: voici le sapin de Noël dans la cour, c'est la fin de l'année, que voulez-vous dire aux Français – «n'ayez pas peur»? Le pire journalisme de déférence.»
Le contexte de ce rendez-vous raté avec la transparence en dit long aussi. Le service public français lui aussi traverse une zone de turbulences, récemment qualifié de «honteux pour les Français» par Emmanuel Macron. Des plans de mise en commun et de réduction des forces ont commencé à circuler, et sont dans le collimateur des émissions… à l'anglo-saxonne justement, comme Cash Investigation d'Elise Lucet.
Ironie, c'est le présentateur vedette de la station commerciale BFMTV et RMC, Jean-Jacques Bourdin, qui s'est retrouvé à délivrer une vraie leçon de journalisme ce lundi: «Quand on fait du journalisme, qu'est-ce qu'on fait? On pose des questions précises. Et celui qui est en face, qu'est-ce qu'il doit faire? Il doit répondre à des questions précises. […] On est tombé dans le jeu de l'Elysée. Et je ne pense pas à moyen terme que cela serve Emmanuel Macron. Il va falloir que l'Elysée s'en rende compte. Les interviews complaisantes n'ont jamais servi personne.» Entendez: apportez-moi Macron dans mon studio, que je le cuisine.
Le duo Macron-Delahousse en tout cas a fait modestement recette, attirant 5,7 millions de téléspectateurs sur France 2 contre 7,6 pour le bon vieux journal télévisé de TF1.
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