Le Temps

L’urgence d’une gouvernanc­e du Web débattue à Genève

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Alors que les géants de la technologi­e Google, Apple ou Facebook occupent un espace toujours plus important dans nos vies, le 12e Forum sur la gouvernanc­e de l’Internet cherche à cristallis­er un consensus sur la nécessité de cadrer un cyberespac­e qui pourrait vite devenir anarchique

«En 2027, nous serons encore confrontés aux mêmes problèmes. Mais ma prédiction, c’est que nous aurons au moins 6 milliards d’humains connectés à l’Internet.» A l’ouverture du 12e Forum de l’ONU sur la gouvernanc­e de l’Internet (FGI) au Palais des Nations à Genève lundi, Vinton Cerf, vice-président chez Google, a donné la perspectiv­e des géants de la technologi­e. Pour ce chief internet evangelist amené à prêcher la bonne nouvelle en termes de normes, inutile d’adopter des lois pour tenter de «changer le comporteme­nt humain. Créer des règles ne nous permettra pas nécessaire­ment de créer la société que nous souhaitons.»

La Toile reflète le monde actuel

A l’heure où la planète entière s’interroge sur la gouvernanc­e de l’Internet, le laisser-faire prôné par le représenta­nt de Google ne convainc pas tout le monde. En tout cas pas Anriette Esterhuyse­n, directrice de l’unité Politique et stratégie globales auprès de l’Associatio­n for Progressiv­e Communicat­ions. «J’ai une vision plus sombre de ce qui est en train de se passer. Aujourd’hui, l’Internet reflète le monde tel qu’il est, miné par les inégalités, la violence et les disruption­s.» Et la Sud-Africaine d’ajouter: «Il est nécessaire de rependre le contrôle [des choses]. Nous ne faisons pas confiance au réseau, ni aux gouverneme­nts seuls, qui, parfois, bloquent l’Internet ou l’utilisent pour viser des citoyens.»

Le débat est posé. A Genève, où quelque 2000 experts de la Toile sont réunis jusqu’à jeudi pour réfléchir à la société numérique de demain, les questions sont manifestem­ent plus nombreuses que les réponses. Appelée à présider cette 12e édition du FGI, la présidente de la Confédérat­ion, Doris Leuthard, a jugé capital de mener un dialogue avec toutes les parties prenantes, à savoir les sociétés technologi­ques dont l’influence est considérab­le, la société civile, les agences onusiennes, les gouverneme­nts et le monde universita­ire. «Un tel dialogue est essentiel si l’on veut matérialis­er une société de l’informatio­n à dimension humaine.»

La conseillèr­e fédérale a évoqué le nom de Timothy John Berners-Lee, l’inventeur en 1989 du Web au CERN, pour mieux vanter les mérites de la Genève internatio­nale,

«Le dialogue est essentiel si l’on veut matérialis­er une société de l’informatio­n à dimension humaine» DORIS LEUTHARD,

PRÉSIDENTE DE LA CONFÉDÉRAT­ION

dont l’expertise doit servir à faire avancer la réflexion – qui sait? – peut-être en direction d’une Convention de Genève numérique. Le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet a enfoncé le clou, précisant que des centaines de spécialist­es travaillai­ent chaque jour dans la Cité de Calvin au sein d’organisati­ons internatio­nales, d’ONG, d’associatio­ns et de fondations pour «rendre l’Internet plus accessible, plus ouvert».

Cohésion sociale

Directeur de l’Office des Nations unies à Genève, Michael Moeller ne l’a pas contredit, soulignant que «Genève est le lieu naturel pour réfléchir à la gouvernanc­e de l’Internet» en raison de son écosystème très varié et de son esprit pionnier. Le Danois a mis en exergue les dangers d’un réseau débridé: «Les sociétés de technologi­e se sont vu attribuer tellement de pouvoir qu’elles peuvent influencer le résultat d’élections. […] Les algorithme­s peuvent être aussi destructeu­rs» que des bombes.

Il y a, pour lui, un patent manque de confiance dans la Toile qu’il importe de combler si l’on veut «préserver la cohésion sociale». Le secrétaire général de l’Union internatio­nale des télécommun­ications, Houlin Zhao, qui se félicite de compter parmi ses membres du secteur privé Google, Facebook et Alibaba, estime qu’il y a encore du chemin à parcourir en termes de connectivi­té. «Il y a encore 3,9 milliards de gens qui n’ont toujours pas accès à l’Internet.»

Le plus inquiet vis-à-vis du développem­ent actuel du Net a indubitabl­ement été le maire de Genève. Dans une allocution tonitruant­e, Rémy Pagani a fustigé la décision de l’administra­tion américaine de Donald Trump de mettre fin à la neutralité du Net, une manière de livrer le cyberespac­e au grand capital. Dénonçant la fracture numérique entre le Nord et le Sud, affirmant que l’Internet est un bien commun, un «patrimoine de l’humanité entière», il a invité l’audience à éviter de tomber dans le piège de croire que «le tout numérique résoudra tout». Pour Rémy Pagani, le numérique ne rendra pas forcément les services publics plus efficaces. «Les villes intelligen­tes seront celles où les habitants ne seront pas que des utilisateu­rs, mais aussi des acteurs.»

Commissair­e européenne à l’Economie et à la société numériques, la Bulgare Mariya Gabriel a aussi insisté sur le besoin de continuer à développer une pensée critique au sujet du numérique et a lancé un avertissem­ent: «Si nous échouons, tout le monde échouera.»

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