Le Temps

La droite revient au pouvoir au Chili

- CHRISTINE LEGRAND (LE MONDE)

Sebastian Piñera, un des hommes d’affaires les plus riches du pays, qui a déjà dirigé le pays entre 2010 et 2014, succède à Michelle Bachelet

Le Chili a basculé à droite, dimanche 17 décembre, en élisant, au second tour de la présidenti­elle, Sebastian Piñera. Il suit l’exemple de plusieurs pays latino-américains ces dernières années. L’homme d’affaires millionnai­re, qui a déjà gouverné le pays entre 2010 et 2014, l’a emporté confortabl­ement avec 54,57% des suffrages face à son rival de centre gauche, le sénateur radical et ancien journalist­e Alejandro Guillier (45,43% des voix). A 68 ans, Sebastian Piñera succédera à la socialiste Michelle Bachelet le 11 mars 2018, pour un mandat de quatre ans. «Nous avons subi une défaite douloureus­e», a reconnu Alejandro Guillier à l’issue d’un scrutin qui s’annonçait très serré.

A la tête de Chile Vamos, toujours bronzé, toujours souriant, Sebastian Piñera est l’un des hommes les plus riches du Chili, avec une fortune estimée à plus de 2,3 milliards de francs. Il se dit partisan d’une «droite rénovée et libérale», débarrassé­e de l’héritage du général Augusto Pinochet (19731990). Il a toujours cherché à marquer ses distances avec cette période noire du Chili et avait voté non, en 1988, au plébiscite qui avait précipité la chute du régime militaire.

Cette fois, Sebastian Piñera s’est vu contraint de durcir son discours à la suite de l’irruption sur la scène présidenti­elle de José Antonio Kast, le candidat d’extrême droite et d’une partie des milieux militaires. Au second tour, José Antonio Kast, qui avait fait 7,9% au premier tour en revendiqua­nt l’héritage du dictateur, a apporté son soutien inconditio­nnel à Sebastian Piñera, qui n’avait obtenu que 36,6%, bien en dessous des prédiction­s des sondages.

«Vendre du vent»

Economiste formé à Harvard, Sebastian Piñera a fait fortune en lançant les cartes de crédit au Chili dans les années 1980. Il a promis à son électorat conservate­ur de revenir sur les avancées sociétales du gouverneme­nt sortant, notamment le mariage homosexuel

Sebastian Piñera se dit partisan d’une «droite rénovée et libérale», débarrassé­e de l’héritage du général Augusto Pinochet

et la dépénalisa­tion partielle de l’avortement. Avec le slogan «Des jours meilleurs vont venir», il a promis croissance et créations d’emplois dans un pays à l’économie en berne depuis deux ans.

Pilotant son propre hélicoptèr­e, l’ancien propriétai­re d’une chaîne de télévision, du populaire club de football Colo-Colo et principal actionnair­e de la compagnie d’aviation chilienne LAN Airlines avait mis du temps, quand il avait été élu la première fois président, à renoncer à toutes ses participat­ions.

En 2010, il avait été le premier président élu de droite depuis le retour de la démocratie, parvenant à rompre l’hégémonie de la coalition de centre gauche, la Concertati­on démocratiq­ue, au pouvoir depuis la fin de la dictature de Pinochet. Son arrivée au palais présidenti­el de La Moneda n’avait pas entraîné de grands changement­s au sein d’une société profondéme­nt conservatr­ice. Etre un nouveau riche au Chili n’est pas un handicap, au contraire, et le succès de Sebastian Piñera comme entreprene­ur est son principal atout.

Parlement fragmenté

Au cours de son premier mandat, il avait bénéficié des prix élevés sur les marchés internatio­naux du cuivre, principale ressource du Chili, qui en est le premier producteur et exportateu­r mondial. Il pourrait à nouveau profiter du récent rebond du cours du métal pour dynamiser l’économie. Il a promis de doubler le taux de croissance (1,4% en 2017), de créer 600 000 emplois, de baisser les impôts pour les entreprise­s, d’augmenter les retraites et de réduire la pauvreté. Pendant sa campagne, il avait accusé Alejandro Guillier de «vendre du vent», d’être proche du parti de la gauche radicale espagnole Podemos, voire du président vénézuélie­n, Nicolas Maduro.

Le nouveau président élu n’aura pas la majorité au parlement. Les législativ­es, organisées lors du premier tour et pour la première fois lors d’un scrutin à la proportion­nelle, ont laissé un paysage fragmenté dans les deux chambres. Il y a désormais plus de femmes, et le Frente Amplio («Front large», coalition de la gauche radicale) est devenu le principal bloc de gauche avec vingt députés et un sénateur.

L’échec de son rival de centre gauche, Alejandro Guillier, est interprété comme le signe du large mécontente­ment de l’opinion contre la présidente sortante. Ancien présentate­ur vedette du principal journal télévisé du Chili, Alejandro Guillier semble pourtant avoir bénéficié du report des voix du Frente Amplio, qui avait créé la surprise au premier tour, le 19 novembre, arrivant en troisième position avec plus de 20% des voix.

Beatriz Sanchez, la candidate de la coalition, n’avait pas donné de consigne de vote à ses partisans en vue du second tour, mais avait dit qu’elle voterait, personnell­ement, pour Alejandro Guillier. Pour barrer la route à Sebastian Piñera, les piliers du Front, les jeunes députés et anciens leaders de la révolution étudiante de 2011, Giorgio Jackson et Gabriel Boric, avaient fait de même. «C’est la confrontat­ion de deux visions du Chili», avait souligné Alejandro Guillier pendant sa campagne, s’inscrivant dans la continuité des réformes progressis­tes de Michelle Bachelet.

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