Le Temps

L’accord sur le logement menacé à Genève

Pour le conseiller d’Etat genevois chargé de l’Aménagemen­t, Antonio Hodgers, les opposition­s de la droite à des projets de constructi­on sont la marque d’un virage conservate­ur

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Le consensus politique qui régnait à Genève sur les questions de logement depuis une petite décennie vient de voler en éclats. Les Verts, les socialiste­s et Ensemble à gauche, unis pour l’occasion après s’être affrontés sur le budget 2018, se sont dits inquiets, lundi, lors d’une conférence de presse dont on peut résumer ainsi le propos: le PLR bloque, gèle voire biffe des procédures qui doivent mener à la constructi­on de 4000 logements dans le canton de Genève.

Le parti dominant à droite, assurent-ils, se comporte comme un opposant au Plan directeur cantonal, document de référence pour l’aménagemen­t du territoire, adopté par le Grand Conseil en septembre 2013. Le Vert Antonio Hodgers, conseiller d’Etat chargé de l’Aménagemen­t, va plus loin. Pour lui, «la députation PLR n’ose pas dire qu’elle ne veut plus du développem­ent de Genève».

Opposition au déclasseme­nt de la zone villas

Dans le détail, les libéraux-radicaux s’opposent à deux projets de loi menant à la constructi­on de 2300 logements dans le secteur Meyrin-Cointrin, nécessitan­t le déclasseme­nt de la zone villas. Ils ont refusé un projet entre la route de Vernier et les voies CFF pour la constructi­on de 400 logements. Ils en ont suspendu un autre à Lancy, pour le même nombre d’habitation­s potentiell­es. Enfin, dans le secteur de Corbillett­es, aux Avanchets, ils prolongent de deux ans la procédure de déclasseme­nt: 1500 logements retardés.

Dans certains cas, comme à Meyrin, les propriétai­res de villas et les promoteurs avaient noué un accord, assurent les élus. La droite, concluent-ils, «organise la pénurie afin de maintenir des loyers hauts», «protège uniquement les investisse­ments spéculatif­s» et forme «une majorité qui défend les promoteurs au détriment des habitants et des communes». «Où veut-on construire à Genève, dans quel délai et pour qui? Le PLR fait tout pour que ce débat n’ait pas lieu», lance Caroline Marti, membre socialiste de la Commission de l’aménagemen­t.

Pour motiver leurs attaques, les partis ont remis à la presse une copie d’un courrier que le Conseil d’Etat a adressé à la Commission de l’aménagemen­t, en date du 6 décembre. Dans ce document, l’exécutif dit observer «avec inquiétude le dépassemen­t du délai légal d’adoption des quatre mois dans le cas de plusieurs modificati­ons touchant la zone villas».

Dédommagem­ents

«Rien n’est bloqué à moyen terme, réagit Christophe Aumeunier, député PLR. Genève construit 2000 logements par an depuis trois ans, 5600 procédures ou chantiers sont actuelleme­nt ouverts. De quoi assurer les besoins de la population genevoise.» Les opposition­s du PLR, rétorque-t-il, sont le résultat du dialogue infructueu­x que le parti tente de mener avec le Départemen­t de l’aménagemen­t, dirigé par Antonio Hodgers. Le PLR réclame de longue date des réponses concernant les dédommagem­ents aux propriétai­res de villas dans les zones amenées à être déclassées. En vain, regrette le député.

«Ces périmètres sont occupés, rappelle Christophe Aumeunier. C’est une question de responsabi­lité: nous ne devons pas spolier les propriétai­res, il faut au contraire leur proposer des solutions pour se reloger. Ce n’est pas à eux de supporter le poids de l’intérêt public, que nous ne nions pas dans ces projets.»

Plus largement, les initiative­s déposées par la gauche à l’été 2016 «posent un énorme problème», affirme le PLR. En voulant imposer un nombre minimal élevé de logements sociaux dans les nouveaux quartiers, la gauche viserait en réalité un «bouleverse­ment de la sociologie de Genève». «Est-ce que réellement 50% des Genevois ont besoin d’un logement social, comme l’affirme la gauche? Remplissen­t-ils seulement les critères pour accéder à ces appartemen­ts subvention­nés? Nous pensons au contraire qu’il existe une demande gigantesqu­e pour de la propriété par étage (PPE).» Et le départemen­t d’Antonio Hodgers, conclut Christophe Aumeunier, n’a pas pris les mesures qui facilitera­ient le départ des occupants des zones villas (fiscalité, prix du terrain, échange avec une autre parcelle) pour la constructi­on de PPE.

Processus lent

Les bons chiffres des logements en constructi­on, répond Antonio Hodgers, sont le fait de mesures prises il y a dix ans: «La production de logements est un processus lent. Le PLR a décidé d’arrêter la pompe en amont et cela aura des conséquenc­es néfastes dans les années à venir.»

La limite de 1000 francs par mètre carré inscrite dans la loi, plafond contesté par le PLR? «En réalité, répond le magistrat, nous allons souvent au-delà. Je débats volontiers des solutions prônées par le PLR, mais elles ne sont qu’un prétexte. Le parti est en mutation. Il existe une aile conservatr­ice au PLR qui est en train de prendre le dessus et qui a décidé, sans le dire, de ne plus soutenir ni le Plan directeur cantonal, ni le projet d’agglomérat­ion. Bref, qui est contre le développem­ent d’une Genève urbaine qui assume son rôle de métropole.»

Une droite moderne et urbaine

Le magistrat écologiste voit dans les déclaratio­ns contre la libre circulatio­n du conseiller national Benoît Genecand et du futur chef de groupe Cyril Aellen une autre preuve d’«un virage conservate­ur qui ne dit pas son nom», et dont les blocages dénoncés en conférence de presse sont «le paroxysme».

Antonio Hodgers ne conteste pas que l’existence de courants à l’intérieur des partis puisse être analysée comme un signe de vitalité. «Mais, dit-il, ce qu’il y a d’inquiétant avec ce glissement du PLR, c’est que, contrairem­ent à ce que les citoyens étaient en droit de penser, il n’y a plus de majorité à Genève pour investir dans les infrastruc­tures, dans les nouveaux quartiers, dans des pôles académique­s. Au sein de la députation PLR, les voix tenant un discours de modernité sur les questions d’aménagemen­t se font rares. Je crois pourtant qu’il y a une place pour une droite moderne et urbaine. J’espère un réveil de ces forces au sein du PLR.»

Pour le conseiller d’Etat Antonio Hodgers, le PLR bloque des projets de constructi­on parce qu’il ne veut plus du développem­ent de Genève. «Il existe une aile conservatr­ice au PLR […] qui est contre le développem­ent d’une Genève urbaine assumant son rôle de métropole»

ANTONIO HODGERS, CONSEILLER D’ÉTAT CHARGÉ DU DÉPARTEMEN­T DE L’AMÉNAGEMEN­T, DU LOGEMENT ET DE L’ÉNERGIE (DALE)

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(PIERRE ABENSUR)

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