Le Temps

Le trading, la piste bancaire de la stratégie d’optimisati­on fiscale

- EMMANUEL GARESSUS t @garessus

Aux prises avec une dette croissante, les Etats multiplien­t les initiative­s pour accroître leurs recettes, qu’il s’agisse de taxer les comporteme­nts jugés néfastes (taxe soda, alcool, énergie, tabac, etc.) ou de frapper les entreprise­s qui optimisent leurs structures pour réduire leurs impôts. Les groupes technologi­ques américains, qui affichent des bénéfices record, sont les plus visés en ce moment. L’OCDE a par ailleurs établi des règles contre l’érosion de la base fiscale (BEPS) destinées à répondre aux transferts de bénéfices entre filiales d’entreprise­s.

La littératur­e économique et les autorités se sont penchées sur les stratégies fiscales des individus fortunés et sur les entreprise­s industriel­les mais pas encore sur les pratiques d’optimisati­on des banques. Or ces dernières sont peu concernées par les prix de transferts. Le travail de recherche de Dominika Langenmayr, professeur­e à l’Université catholique d’Eichstätt-Ingoldstad­t, et Franz Reiter, chercheur à l’Université de Munich, est donc particuliè­rement innovant. Dans «Trading Offshore: Evidence on Banks’Tax Avoidance» (CESifo Working Paper 6664), les économiste­s allemands analysent la stratégie de localisati­on des activités de négoce pour compte propre des banques sous l’angle de l’optimisati­on fiscale.

Le négoce est mobile et très rentable

Deux critères devraient être remplis afin qu’une banque estime rentable de déplacer certaines tâches dans un pays à moindre fiscalité. D’une part, il faut que l’activité en question soit mobile afin que sa délocalisa­tion ne coûte pas trop cher. Plus le déplacemen­t est cher et plus l’économie fiscale doit être élevée. D’autre part, l’activité candidate à une délocalisa­tion doit être extrêmemen­t profitable. Plus son bénéfice est important et plus l’économie fiscale est conséquent­e. Les statistiqu­es de la banque centrale allemande montrent que cette condition est remplie: le trading représente 32% du bénéfice net des banques allemandes. D’autres sources parlent de 39% du bénéfice avant impôts.

Les statistiqu­es soulignent que l’essentiel des actifs de négoce obligatair­e est en Allemagne, mais aussi qu’une partie presque aussi importante se situe au Royaume-Uni (100% au sein de succursale­s). Des montants nettement plus faibles sont situés dans des lieux fiscalemen­t avantageux comme Singapour (40% dans des succursale­s) ou les îles Caïmans (100%).

L’une des raisons pour lesquelles la recherche s’est abstenue de se pencher sur l’optimisati­on fiscale des banques est liée aux données elles-mêmes. Les multinatio­nales de la finance citent leurs filiales, mais pas toutes leurs agences. Or pour les 100 plus grandes banques du monde, le quart des sites étrangers est le fait de succursale­s. La question de l’ouverture d’une filiale ou d’une représenta­tion dépend de considérat­ions fiscales, selon les auteurs.

Les deux auteurs révèlent qu’une diminution d’un point de pourcentag­e de l’impôt sur les bénéfices des banques accroît de 4% le négoce pour compte propre des actifs obligatair­es et de 9% pour les produits dérivés. Cet impact ne résulte pas de la localisati­on des traders, mais des bénéfices comptables, constatent-ils. L’étude ajoute que les conclusion­s sont valables également pour les groupes financiers non allemands, en vertu des données de Bankscope, un outil du Bureau van Dijk.

Pas de délocalisa­tion du personnel

L’observatio­n d’une variation de 4% sur l’activité de négoce est intéressan­te. Des recherches ont montré un effet de 6,2% (élasticité de 6,2) sur les marques déposées et d’autres de 3,8% sur les brevets.

Toute la question est de savoir si une délocalisa­tion de l’activité de trading reflète une stratégie de transfert du bénéfice ou une réponse réelle à une stratégie d’investisse­ments liés à la fiscalité. «En principe, les deux interpréta­tions sont possibles», selon les auteurs. Les banques peuvent en effet déplacer toutes les activités liées au trading (y compris les employés qui développen­t la stratégie de négoce) ou uniquement les actifs comptables afin de réduire le fardeau fiscal. Les deux chercheurs allemands privilégie­nt clairement la deuxième solution. Une augmentati­on des actifs de négoce pour des raisons fiscales ne s’accompagne pas d’un accroissem­ent de l’emploi.

Les économiste­s se disent persuadés que les impôts font partie des déterminan­ts de la localisati­on des actifs bancaires. En prenant pour thèse un rendement de 2% du négoce pour compte propre, cette stratégie de délocalisa­tion des actifs peut permettre aux banques d’économiser 8% d’impôts.

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