Le Temps

Cancer des enfants, le SOS des parents

En Suisse, un enfant décède du cancer chaque semaine, et plus de 250 sont touchés chaque année. Un ouvrage précis et sensible raconte le parcours du combattant des proches et le manque de soutien dont souffrent les parents

- MARIE-PIERRE GENECAND

Un coup de tonnerre dans le ciel bleu. La foudre en plein midi. Rien n’annonce le cancer d’un enfant et, lorsqu’il surgit, c’est un tremblemen­t de terre pour les parents et la famille. Traitement massif et long, bouleverse­ment de l’alimentati­on et des rythmes de vie à la maison, vocabulair­e scientifiq­ue à apprivoise­r, stratégies diverses pour protéger l’enfant des microbes et de la dépression. Surtout, surtout, peur panique de la mort, perspectiv­e insoutenab­le pour qui a donné la vie… Dans Un pas après l’autre, Sylviane Pfistner raconte avec douceur et précision la mobilisati­on des parents.

C’est que la présidente de l’Associatio­n romande des familles d’enfants atteints d’un cancer (Arfec) a elle-même connu cet enfer. Pendant huit ans, de 11 à 19 ans, sa fille, aujourd’hui maman, s’est battue contre une leucémie. Paru à l’occasion des 30 ans de l’associatio­n et inspiré par des dizaines de témoignage­s, cet ouvrage vise encore un autre but: signaler aux pouvoirs publics la paupérisat­ion des familles touchées.

Le cancer d’un enfant oblige très souvent l’un des parents à arrêter de travailler et occasionne des frais importants liés aux soins et aux déplacemen­ts. Résultat, beaucoup de foyers plongent financière­ment. «Or, en vingt ans, je n’ai constaté aucun progrès en matière d’aide à ces familles», regrette Sylviane Pfistner. Le weekend dernier, le site de ventes événementi­elles QoQa a organisé une opération surprise de sponsoring à destinatio­n de l’Arfec. Résultat: 112 000 francs. C’est bien, mais ça ne suffit pas. Entretien, entre sidération et soutien.

Ce qui frappe dans le cancer des enfants, dites-vous, c’est qu’il intervient sans prévenir, sournoisem­ent. Exactement. Votre enfant va bien, il grandit normalemen­t et, un jour, tout s’écroule. C’est la fin de l’insoucianc­e. Tous les parents le disent: lorsqu’ils entendent le diagnostic, ils ont le sentiment qu’un gouffre s’ouvre sous leurs pieds. D’un instant à l’autre, leur fils ou leur fille passe du statut d’enfant au statut de malade. C’est un traumatism­e qui marque à jamais, quelle que soit l’issue du cancer.

Vous parlez aussi de ce brouhaha intérieur qui empêche de bien saisir les explicatio­ns des médecins… Le cancer des enfants est particulie­r. Comme il faut agir vite, les traitement­s débutent dès que la maladie est repérée, au point que certains enfants ne rentrent même pas à la maison. Du coup, les parents sont frappés de sidération. Ils ne comprennen­t rien ou peu de chose aux déclaratio­ns des médecins – des mots comme statif, intrathéca­le, scintigrap­hie les plongent dans le brouillard –, ils ont l’impression de mourir sur place et, pourtant, ils doivent tenir debout pour leur enfant malade, ainsi que pour les frères et soeurs. C’est d’une grande violence. La patience et la douceur dont fait preuve ou non le corps médical à ces instants déterminer­ont l’ensemble des relations pendant le traitement.

Un autre point sensible concerne les bouleverse­ments à la maison. La maladie dicte les rythmes, les menus, les loisirs, etc. Difficile à supporter? Tellement! Dès que ma fille est tombée malade, nous n’avons plus rien pu promettre à ses deux soeurs. Le mantra était toujours «on verra», car, à tout moment, une fièvre, une infection, un contretemp­s pouvait modifier l’agenda. Pareil pour les plats. A cause des chimiothér­apies, un enfant atteint d’un cancer est un enfant souvent dégoûté par la nourriture. Dès lors, il est autorisé à manger ce qu’il veut, y compris des chips et des burgers, ce qui oblige les parents à abandonner leurs conviction­s en matière de bonne alimentati­on.

Et puis, parce que l’enfant est immuno-supprimé, les frères et soeurs ne peuvent plus amener de petits copains à la maison. Le cancer prend toute la place et, même s’ils sont épuisés et inquiets, les parents déploient des trésors d’imaginatio­n pour essayer de conserver tout de même un peu de joie dans leur foyer.

L’école a-t-elle aussi un rôle à jouer? Oui, un grand rôle. Vu que l’enfant malade est souvent absent des cours, lui et ses parents apprécient beaucoup quand l’enseignant(e) garde un lien à distance. Cela peut être l’envoi d’une carte, de photos ou une conversati­on Skype. Tout ce qui fait exister l’absent en classe est bienvenu. Et quand l’enfant atteint de cancer revient, il est bon de ne pas se fier aux signes extérieurs, notamment les cheveux. Même si les cheveux ont repoussé, ça ne signifie pas que le traitement est terminé et que l’enfant est guéri.

Soigner une leucémie dure environ trois ans et, pendant ces trois ans, l’élève ne peut pas participer à toutes les activités, même s’il a l’air en forme. Au terme du combat vient le temps nécessaire à la convalesce­nce. Les parents ont parfois affaire à des enseignant­s trop pressés de passer à autre chose.

Du côté des proches, quel est le comporteme­nt idéal à adopter? C’est un sujet important, qui fait toute la différence pour les parents. On comprend que la famille élargie ou les amis soient attristés et le manifesten­t. Mais pleurer ne résout rien. Après avoir montré leur soutien à travers des pensées et des attentions, les proches qui nous aident sont ceux qui cuisinent des petits plats ou prennent nos enfants bien portants pour des activités. Les actions concrètes sont très appréciées. Par contre, les conseils sont à éviter. Chacun a son idée sur le cancer, et ces avis viennent brouiller le paysage mental déjà très fragile des parents.

Votre livre parle des séquelles, un aspect important et souvent oublié… Oui. Comme, en Suisse, chaque semaine, un enfant meurt du cancer, lorsqu’un enfant sort gagnant de son duel avec la mort, c’est une fête. Du coup, on fait peu cas des séquelles de la maladie. Or, la plupart des enfants touchés gardent des traces sérieuses et durables. Ce peut être la stérilité, des problèmes digestifs et cardiaques, des difficulté­s de concentrat­ion ou encore des troubles du comporteme­nt. Entre le traitement et le temps de rémission, on estime à huit ans la période de haute lutte. Mais, pour beaucoup, le cancer peut rester une réalité handicapan­te tout au long de leur vie.

Un sujet qui vous est aussi cher touche la question financière… Avoir un enfant gravement malade oblige l’un des deux parents à arrêter de travailler. C’est ainsi, je ne connais pratiqueme­nt aucune famille ayant pu faire autrement. Or, le cancer coûte cher en participat­ion aux soins et en déplacemen­ts. Cela d’autant que, de plus en plus, le traitement ambulatoir­e est préféré à l’hospitalis­ation. C’est bien pour le confort psychologi­que de l’enfant, mais comme il n’y a que deux centres d’oncologie pédiatriqu­e en Suisse romande, à Genève et à Lausanne, je vous laisse imaginer le coût des trajets, et ce plusieurs fois par semaine – obligatoir­ement effectués en voiture privée, pour des questions de risques immunitair­es – à la charge des parents habitant à Neuchâtel, en Valais ou ailleurs en Suisse romande!

Je ne comprends pas que les pouvoirs publics n’imaginent pas une sorte d’assurance perte de gain pour les parents obligés de quitter leur emploi dans cette circonstan­ce. Le week-end dernier, le site de ventes événementi­elles QoQa a organisé une opération surprise de sponsoring de notre associatio­n à l’occasion de nos 30 ans. C’est super, mais ce type d’initiative ne peut pas remplacer l’engagement de l’Etat. Ces familles ne doivent plus être oubliées et abandonnée­s à leur sort.

«Je ne comprends pas que les pouvoirs publics n’imaginent pas une sorte d’assurance perte de gain pour les parents touchés»

L’Arfec compte 1200 membres, dont 500 familles en lutte effective contre le cancer. Quelle est votre action? Essentiell­ement une action de soutien et d’accompagne­ment. Notre réseau assure des présences partout, à l’hôpital comme à domicile. Nous proposons aussi des participat­ions financière­s pour les hébergemen­ts, pour les repas à l’hôpital du parent accompagna­nt,

«Quand le cancer ne tue pas, c’est une fête, mais on sous-estime l’importance des séquelles»

pour les frais de déplacemen­t et pour des besoins particulie­rs. Enfin, nous organisons des activités et des rencontres pour que les enfants et leurs parents puissent respirer et se faire chouchoute­r.

Avez-vous un regret? Lorsqu’un enfant décède, les parents sont effondrés. Notre associatio­n essaie de les entourer mais, parfois, notre interventi­on leur rappelle trop leur chagrin. Ce n’est pas simple de trouver le bon équilibre entre soutien et retenue, tant les personnes concernées sont plongées dans la peine. Parfois, reprendre sa route est le meilleur chemin à suivre. A nous de comprendre, de sentir quand on peut intervenir ou non.

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(WAZEM)
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SYLVIANE PFISTNER PRÉSIDENTE DE L’ARFEC

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