Le Temps

Ne pas diaboliser les Polonais

- RICHARD WERLY @LTWerly

La Pologne est un grand pays d’Europe. Les Polonais sont des Européens à part entière, dont la place est au sein de l’Union européenne que leur pays a intégrée voici plus de treize ans. Ces deux affirmatio­ns doivent être sans cesse répétées haut et fort, alors que la Commission européenne a décidé de s’engager, mercredi, sur la voie de possibles sanctions envers les autorités de Varsovie, pouvant conduire à une privation des droits de vote. Le pire, en effet, serait de diaboliser une population prise aujourd’hui dans l’engrenage du populisme europhobe. Au risque d’alimenter les frustratio­ns nationales exploitées par le Parti droit et justice (PIS) au pouvoir.

La stratégie de confrontat­ion empruntée par l’UE, alors que les énergies diplomatiq­ues sont concentrée­s sur le Brexit britanniqu­e et que les convulsion­s de la Catalogne bousculent l’édifice communauta­ire, est logique. Une Union à 28 – demain à 27 – ne peut pas accepter qu’un gouverneme­nt, certes soutenu par une majorité parlementa­ire, porte atteinte aux règles élémentair­es de l’Etat de droit en s’efforçant de museler la presse, et de nommer une justice aux ordres. Mais gare, simultaném­ent, à ne pas faire de la Pologne un bouc émissaire comme l’espère sans doute le leader du PIS, Jaroslaw Kaczynski.

D’autres maux problémati­ques minent l’Europe centrale. En Hongrie, le gouverneme­nt de Viktor Orban flirte sans cesse avec les limites imposées par l’UE. En République tchèque, le milliardai­re Andrej Babis, désormais premier ministre, a dans le passé été poursuivi en justice pour détourneme­nt de fonds européens. En Croatie, les nationalis­tes ont tous crié haro sur la justice internatio­nale après le suicide en direct au Tribunal de La Haye du général Slobodan Praljak, condamné le 29 novembre. L’Autriche, enfin, vit de nouveau à l’heure de l’extrême droite conquérant­e, après la décision du jeune chancelier Sebastian Kurz de constituer une coalition avec le FPÖ, le parti dont le candidat Norbert Hofer avait été battu de justesse pour la présidence de la République en décembre 2016.

Le mal polonais est domestique. La transition trop rapide de ce grand pays vers une économie de marché dérégulée et le fossé qui sépare les élites intellectu­elles de Varsovie d’une large partie de la population ont créé un gouffre béant de rancoeurs et d’insatisfac­tions. Le «bâton» européen ne doit donc pas faire illusion: c’est en Pologne, sur le terrain, dans les campagnes et dans les quartiers populaires que le combat politique doit être mené face au PIS. Bruxelles a raison de s’en tenir aux principes. Mais tout doit être fait, simultaném­ent, pour dire et démontrer aux Polonais que la meilleure chance de préserver leurs droits individuel­s et l’avenir de leurs enfants est de rester dans le sillon européen, dont ils ont largement profité.

Un gouffre béant de rancoeurs et d’insatisfac­tions

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