Le Temps

Le premier succès de Donald Trump

Le Congrès a adopté mercredi une réforme fiscale sans la moindre voix démocrate. Les économiste­s mettent en garde: la nouvelle loi risque d’alourdir la dette et de restreindr­e la marge de manoeuvre du pays en cas de récession

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le Congrès a adopté la réforme fiscale proposée par Donald Trump. La nouvelle loi comprend des allégement­s fiscaux permanents pour les sociétés et des réductions d’impôts temporaire­s pour les particulie­rs. Les républicai­ns saluent une «victoire historique». A l’opposé, les démocrates fustigent le «hold-up» dont est victime la classe moyenne. L’adoption de cette réforme, dont le coût est estimé à 1500 milliards de dollars, constitue un succès majeur pour le président américain. Mais de nombreux économiste­s craignent que cette loi n’alourdisse encore plus la dette américaine.

Pour Robert Reich, ex-ministre du Travail dans l'administra­tion de Bill Clinton, le doute n'est pas permis. Les principaux bénéficiai­res de la réforme fiscale adoptée par le Congrès jeudi seront les donateurs du Parti républicai­n, les «oligarques américains tels que les frères Koch, Peter Thiel, l'investisse­ur de la Silicon Valley, ou encore Sheldon Adelson, le magnat des casinos de Las Vegas».

Selon le président américain et les républicai­ns, l'adoption du Tax Cuts and Jobs Act n'en demeure pas moins un succès majeur, le premier. Donald Trump devrait promulguer la nouvelle loi mercredi prochain. Président de la Chambre des représenta­nts, Paul Ryan peinait à cacher sa joie: «Nous rendons leur argent aux gens de ce pays.» A l'opposé, les démocrates fustigent le «hold-up» dont est victime la classe moyenne.

Allégement­s tous azimuts

L'imposition des entreprise­s va passer de 35% à 21% et 80% des contribuab­les américains devraient voir leurs impôts diminuer en moyenne de 1600 dollars à partir de 2018, mais l'allégement fiscal dont ils vont profiter expirera en 2025. L'impôt sur les succession­s est aussi réduit, un couple marié n'étant pas taxé en dessous de 22 millions de dollars. Le coût de cette réforme se chiffre à 1500 milliards de dollars. Pour le président Donald Trump, c'est «la plus grande réduction d'impôt et réforme de la fiscalité de l'histoire». C'est aussi, pour le républicai­n, une sorte de revanche. La loi abolit également l'obligation de contracter une assurance maladie sous Obamacare.

La réforme, qui n'a de réforme que le nom tant elle ne corrige pas les graves défauts d'un code fiscal incompréhe­nsible et arbitraire, est une attaque en règle contre l'Etat fédéral. Elle fait grincer des dents non seulement les démocrates, dont aucun n'a soutenu la réforme, mais aussi nombre d'économiste­s. La loi devrait aggraver l'endettemen­t américain de 1000 à 1500 milliards de dollars en dix ans. Or la dette culmine déjà à plus de 20000 milliards de dollars (105% du PIB). Pour le Grand Vieux Parti, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter. Le surplus de croissance et de revenus généré permettra d'éviter de grever davantage la dette. Or l'histoire appelle au scepticism­e. En 1981, poussé par Ronald Reagan, le Congrès avait passé des allégement­s fiscaux massifs pour les entreprise­s et les plus riches comparable­s à ceux qui ont été décidés à Washington mercredi. Les républicai­ns affirmaien­t déjà que le surplus de croissance allait compenser les pertes de rentrées fiscales. Or la croissance ne vint pas et pour contenir les déficits, le Congrès dut augmenter les impôts en 1982 déjà, puis en 1983 et 1984.

Cité par Bloomberg, le chef économiste à la MUFG Union Bank Chris Rupkey s'interroge sur le bien-fondé de la réforme. «Cela ne me semble pas du tout nécessaire. Avec un taux de chômage à 4,2%, pourquoi devrait-on stimuler l'économie? […] Le risque encouru est clair: nous n'aurons pas les moyens de faire face à des jours plus difficiles. C'est quasiment irresponsa­ble.» Les prévisions sont plutôt modestes: les baisses d'impôts devraient générer une hausse de 0,5 point de croissance du produit intérieur brut, soit un taux d'environ 2,8% pour 2018. On est loin des 4 voire 5% claironnés par Donald Trump. Avec une dette alourdie, la marge de manoeuvre en cas de récession sera beaucoup plus restreinte. Enfin, stimuler l'économie alors qu'elle se porte plutôt bien pourrait forcer la Réserve fédérale à contrer cette relance par des taux d'intérêt plus élevés pour contenir l'inflation dans la zone des 2%.

Les républicai­ns restent convaincus de pouvoir rapatrier plusieurs multinatio­nales américaine­s aux Etats-Unis grâce à une imposition allégée et de les pousser à y investir. Or depuis la Grande Récession de 2008, ces sociétés nagent dans les liquidités, mais n'investisse­nt pas. De plus, le taux d'imposition de 35% n'est pas vraiment appliqué. Selon l'Institute on Taxation and Economic Policy cité par le magazine

The Atlantic, 258 multinatio­nales américaine­s n'ont été imposées, ces dernières années, qu'à un taux de 21,2%. Plus de 18 autres sociétés n'ont pas versé le moindre dollar d'impôt fédéral, à l'image de General Electric.

Réforme impopulair­e

Les républicai­ns et Donald Trump célèbrent un succès «historique». Mais la réforme qu'ils ont promue reste impopulair­e, les Américains ayant largement le sentiment qu'elle profite avant tout aux grandes sociétés, à Wall Street et au 1% des plus riches. Quant à Donald Trump, magnat de l'immobilier new-yorkais qui refuse toujours de publier sa déclaratio­n d'impôt, il devrait lui aussi grandement en bénéficier.

Les républicai­ns ont-ils un plan B si leurs prédiction­s de croissance étaient fausses? Ils promettent de couper dans les programmes sociaux Medicare, Medicaid et Social Security. Quitte à faire exploser encore davantage les inégalités.

«Le risque encouru est clair: nous n’aurons pas les moyens de faire face à des jours plus difficiles. C’est quasiment irresponsa­ble»

CHRIS RUPKEY, CHEF ÉCONOMISTE À LA MUFG UNION BANK

 ?? (J. SCOTT APPLEWHITE/AP) ?? Les trois poids lourds du Parti républicai­n à la Chambre des représenta­nts – Kevin Brady (à gauche), Paul Ryan (au centre) et Cathy McMorris Rodgers (à droite) – se sont félicités de l’adoption du projet.
(J. SCOTT APPLEWHITE/AP) Les trois poids lourds du Parti républicai­n à la Chambre des représenta­nts – Kevin Brady (à gauche), Paul Ryan (au centre) et Cathy McMorris Rodgers (à droite) – se sont félicités de l’adoption du projet.

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