Opération déminage contre l’initiative anti-burqa
Une femme voilée aux Fêtes de Genève, en 2015. Le Conseil fédéral laisse aux cantons la liberté d’interdire la burqa.
Par respect du fédéralisme, le gouvernement rejette une interdiction nationale du voile intégral, mais propose de durcir certaines lois. PDC et PS prônent une approche différente
Le Conseil fédéral a pris position mercredi sur une question qui hante le débat politique suisse depuis plus de dix ans: l'interdiction du voile intégral dans l'espace public. Le gouvernement avait à se prononcer sur l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage», que le comité d'Egerkingen (auteur de l'initiative contre les minarets) a fait aboutir avec peine en septembre dernier.
Sans surprise, le Conseil fédéral rejette ce texte. Mais ses arguments ont évolué au fil des ans. En réponse à une interpellation de Christophe Darbellay (PDC/ VS) en 2006, le gouvernement indiquait en effet qu'une interdiction du voile intégral dans l'espace public poserait un problème en termes de fédéralisme et de droits humains. «L'article 15 de la Constitution garantit le droit de tout homme et de toute femme d'opter pour tel habillement pour des raisons religieuses. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) offre la même garantie», écrivait alors le gouvernement.
Deux cantons interdisent, cinq refusent de le faire
Cet argumentaire a basculé en 2014 à la suite d'un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a validé une loi française interdisant le voile intégral en public. Aujourd'hui, le gouvernement rejette l'initiative du comité d'Egerkingen par respect du fédéralisme uniquement. «Le Conseil fédéral ne veut pas prescrire une solution unique pour tous les cantons. Dans certains d'entre eux, on ne voit jamais une femme couverte intégralement. Dans d'autres, plus touristiques, elles peuvent être plus nombreuses. Les cantons sont libres d'interdire la burqa s'ils le veulent», souligne la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
De fait, plusieurs cantons ont déjà débattu de la question et y ont amené leur propre réponse. Ainsi, le Tessin, depuis le 1er juillet 2016, punit par l'amende le fait de se dissimuler le visage dans l'espace public. Le parlement saint-gallois a adopté une disposition similaire en novembre dernier. En revanche, les cantons de Glaris, de Zurich, Soleure, Schwyz et Bâle-Ville ont rejeté des dispositions analogues.
Mais le gouvernement est conscient de la sensibilité de la question qui sera posée aux citoyens dans un contexte géopolitique propice aux amalgames. Il tente donc de déminer le sujet et propose d'opposer un contre-projet indirect à l'initiative. Il entend punir toute personne qui contraindrait une femme à se dissimuler le visage. Il veut aussi établir dans la loi le fait que les contacts avec les autorités fédérales doivent se faire à visage découvert.
Réactions contrastées
Instigateur d'un comité interpartis visant à combattre l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage», le conseiller aux Etats Andrea Caroni (PLR/AR) salue l'approche retenue par le Conseil fédéral: «Je ne dis pas que c'est l'oeuf de Colomb. Mais cela nous permettra de mener un débat orienté sur de potentiels problèmes et d'y amener des réponses circonstanciées.»
A l'inverse, le conseiller national JeanLuc Addor (UDC/VS) qualifie les propositions du Conseil fédéral «d'enfumage». Elles font fi, selon lui, de la problématique des hooligans et des manifestants cagoulés soulevée par le texte original. «Et par rapport à la burqa, il y a aujourd'hui déjà une disposition dans le Code pénal qui réprime la contrainte. Mais elle n'est pas utilisée!» Jean-Luc Addor balaie aussi l'argument du fédéralisme. «Il y a des problématiques qu'il convient de régler à l'échelle du pays. Cela me semble être le cas ici.»
«Nous cherchons à proposer quelque chose de positif»
L'initiative s'en va désormais en commission parlementaire. Le Parti socialiste de Simonetta Sommaruga souhaite un contre-projet direct à l'initiative, donc au niveau constitutionnel, pour «encourager l'égalité entre hommes et femmes dans la société, promouvoir l'intégration et améliorer la protection contre les violences domestiques». Le PDC réfléchit également à un contre-projet direct. «Nous cherchons à proposer quelque chose de positif. Nous commencerons la discussion en commission avec une feuille blanche et verrons bien la dynamique des autres partis», souligne le conseiller national Marco Romano (PDC/TI).
Pour le Tessinois, le politique doit réfléchir et proposer des solutions, «même si on ne trouve pas des burqas ou des niqabs à tous les coins de rue en Suisse». Dans son canton, l'interdiction de se dissimuler le visage n'a pas eu de graves conséquences économiques. «Dans ma commune de Mendrisio, nous avons beaucoup de touristes arabes. L'approche de la police est, cela dit, d'abord d'informer ces visiteurs avant de les sanctionner.»
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