Les noms d’ici et les «non d’ici»
Nouria, Nurria, Gurite, Goritte, etc. Il y a quelques jours, la présidente du Conseil d’Etat vaudois a entamé sur un réseau social une collection photos des fautes d’orthographe autour de son nom et prénom. Evidemment, c’est drôle, et cela signale aussi le sens de l’humour de la plus solaire des conseillères d’Etat. Aigrefins ou secrétaires trop pressés, solliciteur ou président d’association indélicat: la série d’image est amusante, et démontre l’infinie fantaisie possible lorsqu’il s’agit d’écorcher le nom de quelqu’un.
Comme j’ai moi-même un patronyme aussi difficile à écrire qu’à prononcer correctement, cela m’a parlé. Je me suis demandé quelle influence cela avait sur ma vie quotidienne. N’y a-t-il pas quelque chose de fondamentalement impoli à ne pas faire attention à la manière d’écrire un nom? Ou une façon, malgré tout – et je marche sur des oeufs en l’écrivant – de faire comprendre à celle ou celui qui encaisse la faute d’orthographe ou la prononciation hasardeuse qu’il n’est «pas d’ici»? Les Suisses romands aiment bien la Scandinavie, alors je ne l’ai jamais ressenti comme tel. Mais les autres, à commencer par tous ces Suisses alémaniques, derrière cette barrière de pommes de terre à la poêle que l’on remonte encore en massacrant sans arrêt leurs noms. Ou tous ceux dont les origines sont plus au sud, ou à l’est. Devant le foot et l’équipe nationale à la télé, avec mes copines, je me souviens de discussions à l’humour parfois lourdaud, sur la juste façon de prononcer Josip Drmić ou Blaise Nkufo. Comment on fait avec ce «m», ce «N»? On le suggère, on l’évite, on insiste dessus?
J’ai toujours considéré qu’un nom bizarre était un avantage. Cela incite aux questions. Répète? Ça sort d’où? C’est un début de discussion, de lien, une façon rapide, joyeuse et simple de s’intéresser à l’autre. Oh, je sais parfaitement que c’est politiquement archicorrect, ce couplet classique sur le miracle de l’addition des différences, mais je le vis tous les jours. Dans les bistrots italiens, il m’arrive encore de demander à celui qui me sert de quelle région il est: les Pouilles, la Calabre, la Sicile? Ou quand l’accent ou le nom racontent des histoires balkaniques, je demande aussi, parce que je sais que devenus Suisses ou non, cela demeure important au coeur des gens, la Serbie, le Monténégro, le Kosovo des origines. Peut-être que le plus iconique des Suisses romands, Darius Rochebin, devrait reprendre son nom iranien, pour voir ce que cela donne.
Je crois que la collection d’images de Nuria Gorrite raconte cela, la volonté d’être à la fois d’ici, mais aussi du côté heureux du flamenco et de la sangria. Et si l’on m’en tend un verre, skål, comme on dit dans mes fjords!
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