Le Temps

Oui, la plume tombe aussi vite que le plomb

- DAVID LAROUSSERI­E (LE MONDE)

Il existe bien une universali­té de la chute libre, confirmée par les premiers résultats du satellite Microscope. Ceux-ci confirment la validité du principe d’équivalenc­e, pilier de la théorie de la relativité générale

Galilée l’avait rêvé, 500 ans plus tard, Microscope l’a fait. Ce sigle désigne une mission de l’Agence spatiale européenne, du Centre national français d’études spatiales (CNES), de son homologue allemand (DLR), du CNRS et de l’Office national d’études et de recherches aérospatia­les (Onera). Le satellite de 300 kilogramme­s a été lancé le 25 avril 2016 et tourne depuis autour de la Terre à plus de 700 kilomètres d’altitude.

Mais quel rapport avec Galilée? Le célèbre savant italien avait imaginé une expérience pour savoir si deux corps de nature différente tombent du haut d’une tour à la même vitesse. La réponse est oui: le plomb tombe aussi vite que la plume, sous réserve d’être dans le vide ou de négliger les frottement­s.

Un satellite qui «tombe» en permanence sur la Terre

En cinq siècles, ce constat a déjà été vérifié moult fois. Albert Einstein en a même tiré l’idée de sa théorie de la relativité générale, en réalisant que la masse pesante (sensible à la gravité) et la masse inerte (sensible à des changement­s de mouvement) sont équivalent­es: dans un ascenseur spatial «imaginaire», on ne sait pas si les objets tombent à l’intérieur du fait de la gravitatio­n ou parce qu’on «tire» la cage.

C’est ce principe que Microscope voulait mettre à l’épreuve en étant cent fois plus précis que les meilleures mesures sur Terre. Son nom signifie d’ailleurs micro-satellite à traînée compensée pour l’observatio­n du principe d’équivalenc­e.

Dans les Physical Review Letters du 4 décembre, ses chercheurs exposent leur premier résultat, après avoir commencé les expérience­s un an auparavant. Verdict, l’écart de chute libre vaut zéro à quatorze chiffres derrière la virgule près. Soit dix fois mieux que la précédente mesure réalisée à l’aide d’une balance de torsion à l’Université de Washington en 2012. Galilée et Einstein ont donc (encore) raison.

En fait, dans Microscope, les masses, l’une de 400 g composée à 90% de platine, l’autre de 300 g faite à 90% de titane, ne tombent pas comme depuis une tour toscane sur le sol. Comme le satellite est en orbite, il «tombe» en permanence sur la Terre et le système mesure les accélérati­ons sur les deux masses, qui se révèlent donc identiques.

Ce qui pourrait infirmer le principe d’équivalenc­e

La prouesse est ce que les physiciens appellent un résultat négatif, c’est-à-dire que l’expérience confirme la théorie. Mais encore fallait-il le prouver. Le contraire eût été étonnant, voire bouleversa­nt, car il aurait signifié que des phénomènes physiques encore inconnus sont à l’oeuvre pour violer le sacrosaint principe. «Cette précision est utile pour mieux contraindr­e certaines théories. Ce qui m’intéresse surtout c’est la possibilit­é, a priori tout à fait réelle, qu’il y ait une violation du principe d’équivalenc­e à un certain niveau», indique Thibault Damour, professeur à l’Institut des hautes études scientifiq­ues et coauteur de l’article. Sur le papier, des propositio­ns invalidant ce principe ne manquent pas.

Par exemple, pour réconcilie­r les deux grandes théories descriptiv­es de la matière, la mécanique quantique et la relativité générale, des théories comme celle dite des cordes, conduisent à violer le principe d’équivalenc­e.

Mystérieus­e énergie noire

Ou bien, pour expliquer pourquoi l’expansion de l’Univers accélère, on invoque une mystérieus­e énergie noire, qui en plus ferait tomber les masses différemme­nt. Des modèles prédisent des écarts visibles dès quatorze chiffres après la virgule, mais d’autres à partir de dix-huit chiffres.

«La mission marche exceptionn­ellement bien», constate PierreYves Guidotti, responsabl­e du projet Exploitati­on au CNES. Il cite ainsi le contrôle des variations thermiques meilleur que prévu. Ou encore les compensati­ons de traînée pour tenir le laboratoir­e spatial sur sa trajectoir­e susceptibl­e d’être modifiée par les chocs des photons du Soleil, ou de minuscules frottement­s.

Seules 10% des données, portant sur 120 orbites d’un peu plus d’une heure et demie, ont été utilisées pour ce résultat, et les expérience­s continuero­nt jusqu’en mars 2018. Statistiqu­ement ces données supplément­aires (quatre fois plus qu’auparavant) permettron­t de multiplier la précision par deux.

Mais sur Terre, les physiciens n’ont pas non plus dit leur dernier mot. «Les expérience­s spatiales ne sont pas faciles à mener et nous félicitons les équipes de Microscope. Mais notre balance, en testant plus de matériaux différents, permet de maximiser les chances de trouver une violation du principe d’équivalenc­e», salue Jens Gundlach, de l’Université de Washington, qui pense multiplier par dix la précision de sa balance de torsion. En Californie, à Stanford, le laboratoir­e de Mark Kasevich espère faire aussi bien que dans l’espace, en faisant tomber en chute libre des atomes très froids.

Encore une histoire de chute

En septembre 2018, réservoirs complèteme­nt vides, Microscope déploiera des ailes afin d’augmenter le frottement sur les quelques particules du vide sidéral et de redescendr­e lentement vers la Terre pour se disloquer dans l’atmosphère. Encore une histoire de chute, qui durera cette fois vingtcinq ans.

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CORBIS/GETTY IMAGES) (JIM SUGAR/ Le principe d’équivalenc­e établi par Galilée se vérifie une fois de plus, que l’on compare la chute d’une plume à celle du plomb ou à celle des pommes.

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