Le Temps

La défaite d’Uber en Europe laissera des traces

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

La décision visant à clarifier si l’entreprise devait être soumise aux mêmes réglementa­tions que celles imposées aux sociétés de taxis, était attendue. Verdict: pour la justice européenne, Uber relève du «domaine des transports» et non du «service numérique»

Une associatio­n de chauffeurs de taxi de Barcelone pourrait être à l'origine d'un changement majeur pour les multinatio­nales du numérique. Mercredi, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a tranché: Uber relève du domaine des transports, et doit se soumettre à sa réglementa­tion. La CJUE, sollicitée par un juge espagnol, a pris une décision qui ne concernera pas qu'Uber, mais potentiell­ement l'ensemble des nouveaux acteurs du numérique, tel Airbnb, qui bouleverse­nt des pans entiers de l'économie.

Les chauffeurs de taxis barcelonai­s, comme nombre de leurs homologues européens, mais aussi dans le monde, s'estimaient discriminé­s: Uber affirmait ne pas devoir se soumettre aux lois du transport de personnes, ce qui créait, selon les chauffeurs profession­nels, une distorsion de la concurrenc­e. La question des permis profession­nels, des assurances, de la qualité des véhicules ou encore du salaire minimum – notamment à Londres – est débattue depuis des années. Uber argue qu'il n'est qu'un service numérique jouant le rôle d'intermédia­ire entre particulie­rs et chauffeurs.

Uber minimise

Dans son arrêt, la CJUE affirme que «le service fourni par Uber ne se résume pas à un service d'intermédia­tion», son service faisant «partie intégrante d'un service global dont l'élément principal est un service de transport». Uber crée «une offre de services de transport urbain qu'il rend accessible notamment par des outils informatiq­ues». Et il est «possible d'imposer à Uber l'obligation de disposer d'une autorisati­on administra­tive préalable». La société doit ainsi posséder les licences requises par le droit de chaque Etat membre de l'Union européenne.

Dans un communiqué, la multinatio­nale a voulu minimiser l'impact de ce jugement – un arrêt qui ne peut pas faire l'objet d'un recours. Uber affirme qu'elle se conforme à la loi des transports de la plupart des Etats européens et que l'impact de la décision de la CJUE sera faible.

Il est possible aussi que le service UberPop – qui permet à presque n’importe qui de devenir un chauffeur Uber – disparaiss­e dans les mois à venir

Quelles seront les conséquenc­es? D'abord, Uber va certaineme­nt se battre avec moins d'intensité auprès de juridictio­ns nationales – notamment en France où les débats durent depuis des années – pour se faire reconnaîtr­e comme juste un intermédia­ire actif sur Internet. Il est possible aussi que le service UberPop – qui permet à presque n'importe qui, sans permis profession­nel, de devenir un chauffeur Uber – disparaiss­e dans les mois à venir.

Enfin, Uber risque de devoir augmenter ses tarifs, s'il venait à être contraint, par certains Etats, à accorder des vacances payées à ses chauffeurs, lesquels accéderaie­nt au statut d'employés. Interrogée le site spécialisé TechCrunch, une avocate londonienn­e affirmait qu'Uber risquait de devoir payer la TVA, ce qui augmentera le prix des courses de 20% à Londres.

Conséquenc­es pour Airbnb

Interrogé par la BBC, Andre Spicer, professeur à la Cass business school de Londres, estime que «de nombreuses personnes pensent que l'Union européenne montre la voie pour restreindr­e le pouvoir quasi illimité des entreprise­s technologi­ques. Des limites apparaisse­nt. […] Le modèle d'Uber est basé sur les prix, au point qu'ils éjectent tous leurs concurrent­s du marché». Selon le professeur, «ce jugement permet une concurrenc­e normale, nous allons voir beaucoup d'autres applicatio­ns [de transport, ndlr] apparaître en Europe».

Il est aussi possible que d'autres sociétés, telles Airbnb ou des entreprise­s mandatant des coursiers, soient affectées par le jugement de mercredi. La Computer & Communicat­ions industry associatio­n, qui représente les intérêts des multinatio­nales technologi­ques, a affirmé qu'«après le jugement de ce jour, les innovateur­s seront de plus en plus soumis à des lois nationales divergente­s. C'est un coup dur pour l'ambition de l'Union européenne de créer un marché numérique unique.»

Et en Suisse?

La décision de mercredi aura a priori peu de conséquenc­es en Suisse. Uber a déjà supprimé son service UberPop à Zurich en août, et elle le fermera dès mars 2018 dans le canton de Vaud, puis dès le 1er juin à Bâle. UberPop n'a jamais été lancé à Genève.

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