Le Temps

Le taureau qui aimait les fleurs

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Héros d'un court-métrage dans les années 1930, le plus doux des «toros» d'Espagne revient faire un tour d'arène pacifique dans «Ferdinand»

Il a peut-être été le premier des hippies. Apparu en 1936 dans L’Histoire de Ferdinand, un livre de Munro Leaf illustré par Robert Lawson, porté à l'écran en 1938 par Walt Disney, Ferdinand est un toro de combat, un monstre d'une demi-tonne de muscles avec des cornes. Mais il a une âme de papillon. Tandis que ses camarades passent leurs loisirs à charger et se filer des coups de boule, lui s'isole au sommet de la colline, sous le chêneliège, et hume le parfum des fleurs.

Le jour où les organisate­urs de corrida viennent à la ganaderia chercher une bête, Ferdinand est malencontr­eusement piqué par une abeille. Rendu fou par la douleur, il fonce et dévaste tout sur son passage. Cette démonstrat­ion de fureur enthousias­me l'empresa et le placide mastodonte se retrouve dans l'arène. Son comporteme­nt jette l'opprobre sur trois siècles de tauromachi­e: assis sur le sable, il se grise du parfum des fleurs lancées par les aficionado­s et lèche affectueus­ement le torse du matador. On le renvoie dans sa campagne…

Hérissons voyous

Le court-métrage de 1938 engendre un remake grand format. La Fox a confié à Carlos Saldanha, le champion de L’Age de glace 3: le temps des dinosaures,Rio 1 et 2, la charge de démontrer la force de frappe de l'animation boostée par l'imagerie de synthèse. Une adorable idée, comme les bouchons qui pendent du chêne-liège, est abandonnée au profit d'un grand réalisme dans les décors. Pour faire d'un conte léger un long-métrage, le scénario multiplie les rebondisse­ments et les sous-intrigues. Parce que son papa est mort dans l'arène, Ferdinand s'enfuit. Il trouve refuge auprès d'un horticulte­ur et de sa fille. C'est pendant le marché aux fleurs qu'une piqûre d'abeille le détermine à tout démolir – cette séquence inclut une épatante variation sur le thème de l'éléphant dans le magasin de porcelaine.

Ferdinand a plein de copains. Des taureaux, comme Valiente le dur à cuire, Guapo l'émotif, Bones le maigrichon, Angus, un highlander écossais dont on se demande ce qu'il fait sous le soleil d'Espagne, et Maquina, dont le manque d'empathie traduit les origines OGM. Il y a aussi Lupe, la vieille chèvre psychologu­e, trois hérissons un peu voyous et un petit lapin craintif…

Héros de la résistance passive

La bande se déchaîne. Ferdinand fait évader les camarades promis à l'équarrissa­ge, les hérissons prennent le volant pour mener une corrida motorisée d'enfer dans les rues de Madrid. A ces séquences déjantées dont le rythme met les cerveaux adultes à rude épreuve, on préfère le quadrille chevaux pur-sang allemands, hautains et ridicules, les liens d'amitié entre les hommes et les bêtes, l'éloge de la différence que fait cette histoire de taureau pacifique.

«Changer les âmes, Changer les coeurs, Avec des bouquets de fleurs»: le refrain de Voulzy pourrait servir de devise au bovidé le plus placide de toute la péninsule Ibérique, héros de la résistance passive. Et tout ce qui ridiculise la tradition sanglante de la corrida est à saluer.

■ Ferdinand, de Carlos Saldanha (Etats-Unis, 2017), 1h46.

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