Le Temps

Face au dopage, la parole des victimes

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

La marathonie­nne Christelle Daunay a été reconnue partie civile dans le cadre d’une enquête française. C’est une première, qui rappelle que les tricheurs ne flouent pas seulement l’esprit du jeu, mais aussi leurs concurrent­s

S’il y a un coupable, c’est qu’il y a une victime. L’idée est simple, basique, et pourtant: en matière de dopage, personne n’y avait vraiment pensé jusqu’ici. Démasquer et punir les tricheurs est un bon début, mais le système ne devrait-il pas également s’intéresser à ceux qui pâtissent directemen­t de leurs actes, c’est-à-dire les autres athlètes, et leur permettre d’obtenir réparation? La marathonie­nne française Christelle Daunay en a la conviction.

A 45 ans, elle est la première sportive reconnue partie civile, dans le cadre de l’enquête ouverte en France il y a deux ans sur le système de corruption mis en place au sein de la Fédération internatio­nale d’athlétisme pour couvrir des cas de dopage dans l’athlétisme russe. La championne d’Europe 2014 à Zurich le dit haut et fort dans une interview accordée au Monde: «J’ai été victime du système de dopage russe.»

Lésée sur trois plans

«Il y a quelques années, quand Liliya Shobukhova et Inga Abitova [deux marathonie­nnes russes] ont été suspendues pour dopage […] je m’étais fait la réflexion: «Elles m’ont pris de l’argent, des places». Je n’ai pas reçu de compensati­ons en conséquenc­e», détaille la spécialist­e de la course de fond. Lorsque l’affaire du dopage russe institutio­nnalisé a éclaté, elle a estimé que le moment était venu de faire reconnaîtr­e le tort subi.

Christelle Daunay s’estime lésée sur trois plans. Le premier est strictemen­t financier: «Que ce soit au marathon de New York en 2010 [elle a terminé 6e, devancée par Inga Abitova] ou à celui de Chicago en 2011 [5e, derrière Liliya Shobukhova], j’ai perdu une place. Et je n’ai pas récupéré la somme correspond­ante.» Le second plan concerne le palmarès, et indirectem­ent le porte-monnaie aussi: «Si vous terminez troisième ou quatrième d’un grand marathon, ce n’est pas la même chose. Cela influe aussi sur les primes d’engagement que l’on négocie pour les futures courses.» Enfin, plus difficile à mesurer, il y a le préjudice moral: «On a mis beaucoup la lumière sur ces athlètes, avec leurs victoires, et moins sur les autres.»

De nombreux autres sportifs pourraient tenir le même discours. La démarche de la marathonie­nne française concerne l’athlétisme, mais elle résonne bien au-delà. Elle interroge la largeur du spectre de mesures à prendre après un cas de dopage avéré, quelle que soit la discipline. Faut-il mettre en place un système d’indemnisat­ion? Prévoir des dommages et intérêts? La mécanique actuelle se limite en général à adapter les classement­s et, si nécessaire, à redistribu­er titres, médailles, honneurs. Même si l’effort est louable, les intéressés assistent souvent un peu impassible­s aux tentatives de recoller les morceaux de leur rêve brisé.

Emotions volées

Parmi eux, le cycliste italien Vincenzo Nibali pourrait récupérer la victoire de la Vuelta 2017 au terme de la procédure engagée à l’encontre de Chris Froome pour un usage abusif de Salbutamol, mais il ne s’en réjouit guère: «Quoi qu’il en ressorte, les émotions d’une victoire ne peuvent être ressenties qu’en course.» Les instances officielle­s sont consciente­s du problème, à l’instar du Comité internatio­nal olympique qui vient de retirer onze médailles obtenues à Sotchi en 2014 à des athlètes russes. «Nous ferons de notre mieux à Pyeongchan­g pour réattribue­r les médailles avec le maximum de faste possible, pour essayer de compenser les moments volés», a récemment déclaré le président du CIO, Thomas Bach.

Pour Christelle Daunay, il y a dans son combat une portée supérieure à son cas particulie­r. En se portant partie civile, elle ajoute sa voix au grand procès du dopage. «Aujourd’hui, c’est presque devenu systématiq­ue: on met le doute partout, sur chaque athlète. Je l’ai vécu quand j’ai commencé à avoir des résultats. J’aimerais qu’on n’ait plus le doute sur chaque performanc­e.» Ce jour-là, la lutte antidopage aura vraiment gagné.

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