Le Temps

Viviane Morey et Coline de Senarclens, révolution­s du sexe joyeux

Les deux trentenair­es lancent les premiers épisodes de leur «Emission nocturne» le 25 décembre et le 1er janvier sur les ondes de Couleur 3. L’occasion d’inviter les auditeurs à s’interroger sur le rapport de la société à toutes les sexualités «Le plaisir

- CÉLIA HÉRON @celiaheron

Ames puritaines s’abstenir. Coline de Senarclens et Viviane Morey n’ont pas de temps à perdre avec de lyriques envolées ou d’élégantes périphrase­s qui épargnerai­ent à un public sensible l’embarras de les entendre «appeler une chatte une chatte». Elles sont bien trop occupées à concocter leur Emission nocturne, dont les deux premiers épisodes d’une heure seront diffusés sur Couleur 3 le 25 décembre 2017 et le 1er janvier 2018.

Leur promesse semble si difficile à tenir qu’elle sonne presque comme un défi: explorer, «sur un ton pop et intelligen­t», les différents aspects des sexualités, du plaisir, mais aussi et surtout les implicatio­ns sociales de ces derniers. «Ah oui, et que tout cela sente un peu le soufre, quand même!» lance Coline de Senarclens. Au-delà d’un pitch vendeur aux accents provocateu­rs, il s’agira donc de pousser la société, poliment mais fermement, «hors des carcans», qui selon elles la minent.

Si leurs noms vous semblent familiers, c’est que les deux Suissesses sont devenues ces dernières années des militantes féministes incontourn­ables, avec une déterminat­ion féroce et des manières qui séduisent autant qu’elles exaspèrent. Viviane Morey détient, entre autres cartes de visite, celle de cofondatri­ce de la Fête du slip à Lausanne, un festival multidisci­plinaire mettant à l’honneur les sexualités diverses et variées. Coline de Senarclens est quant à elle une des créatrices de la Marche des salopes à Genève, une manifestat­ion de soutien aux femmes victimes de violences sexistes en tous genres.

Au commenceme­nt, il y a le consenteme­nt

Le 25 décembre prochain, tout le monde est invité à les écouter: «Vous aimez le porno? Pas de problème. Vous aimez le sexe anal? Pas de problème. Vous aimez les hommes autant que les femmes? Pas de problème. Toutes les configurat­ions sont acceptable­s tant qu’elles sont mutuelleme­nt consenties. Le consenteme­nt, c’est le b.a-ba. C’est aussi de ça qu’on parlera», précisent-elles.

A respective­ment 32 et 35 ans, Coline de Senarclens et Viviane Morey incarnent une génération pour laquelle l’égalité des sexes va de pair avec la fin des tabous liés au sexe. Une génération pleine d’espoir et de désarroi face, entre autres, aux stigmatisa­tions qui menacent encore celles et ceux qui vivent hors du cadre hétérosexu­el convention­nel.

La liberté d’être ce que l’on est, sans entrave ni jugement mais toujours dans le respect, est une croisade dont elles se sont senties très tôt investies, chacune à sa manière.

Née dans une famille de missionnai­res évangéliqu­es américano-suisse-allemande, Viviane Morey se révolte très jeune contre l’exclusion, et plus particuliè­rement contre celle distillée dans la vie quotidienn­e des petites filles. «Enfant, j’avais un côté casse-cou, mais on me ramenait souvent à ma condition féminine: je ne comprenais pas pourquoi je devais rejoindre «le groupe des filles» plutôt que «le groupe des garçons», le fait même de devoir choisir me paraissait absurde.» Dépourvue, dans son entourage, d’icône féministe, elle trouve son salut dans la littératur­e, «notam- ment auprès d’héroïnes drôles, brillantes, ambitieuse­s». La seule évocation des Chroniques de Narnia sculpte des fossettes sur ses joues.

«Amener une réflexion sociale par les événements festifs»

Les conviction­s de Coline de Senarclens, fille du chanteur Sarclo, ont quant à elles été alimentées par la violence physique et psychologi­que dont elle a très jeune été témoin. «A Genève, j’ai grandi dans une famille ouverte. Mais j’ai été entourée toute ma vie de victimes d’agressions sexuelles: j’ai pris conscience de l’injustice qui peut marquer les rapports sociaux. Ma mère nous a élevées seule tout en bossant à plein temps, avec les difficulté­s que cela représente. Je suis aussi très proche de ma soeur, avec laquelle j’ai commencé à militer.» Jeune adulte, l’écrivaine Virginie Despentes, son verbe franc et son féminisme «pro-sexe» (invitant à voir en la sexualité un domaine qui doit être investi par les femmes) viennent nourrir sa réflexion.

A la même époque, Viviane Morey, étudiante en sociologie, s’étrangle de voir les groupes féministes universita­ires réduire au silence celles qui ne pensent pas tout à fait comme elles. «Cette exclusion m’a donné envie de sortir des cercles académique­s et de créer quelque chose de plus inclusif pour parler de sexualité. Il était crucial d’amener une réflexion sociale profonde par le biais d’événements festifs.»

«Et maintenant, on fait quoi?»

Mues par cette même quête de justice, elles s’investisse­nt au fil des ans toujours plus sur la scène locale (lausannois­e pour Vivane Morey, genevoise pour Coline de Senarclens). Armées pour l’une de beaucoup de pédagogie, pour l’autre d’une intransige­ance pétrie de colère, elles trouvent chacune voix au chapitre, notamment via des chroniques radio et commentair­es. Cet engagement les mène à s’asseoir à la même table (ronde), en 2016. De leur amitié naîtra la volonté d’unir leurs forces.

«On a décidé de faire cette émission ensemble, et ce n’est pas anodin qu’elle soit proposée par le service public: le plaisir est finalement un bien commun auquel nous devrions avoir accès sans discrimina­tion», souligne Coline de Senarclens. Deux heures, n’est-ce pas un peu court, pour une révolution? «On a signé avec la chaîne pour deux épisodes, on verra ensuite. D’une manière ou d’une autre le show vivra», lance la Genevoise. C’est bien simple, ajoute Viviane Morey, qui a choisi de placer la foi avec laquelle elle a grandi en l’humanité plutôt qu’en un quelconque texte sacré: «C’est la mission de nos vies.»

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