Le Temps

La Catalogne, une hésitation européenne

Quels que soient les résultats des élections régionales de jeudi en Catalogne, l’Union européenne ne veut pas d’autre interlocut­eur que le gouverneme­nt de Madrid

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Hier, les Catalans devaient renouveler leurs autorités régionales dans un scrutin marqué par l’opposition irréductib­le entre indépendan­tistes et unionistes. Mais quel que soit le résultat des urnes, l’Union européenne ne devrait pas cesser de voir en Madrid le seul interlocut­eur valable.

Certains ont, jusqu’au dernier moment, espéré une ouverture. Mais à Bruxelles, au sein de la Commission européenne comme du Conseil (l’institutio­n représenta­nt les 28 Etats membres), le front pro-Madrid a tenu bon.

Alors que les électeurs catalans ont été très nombreux à se déplacer jeudi pour aller voter aux élections régionales convoquées par le premier ministre conservate­ur espagnol Mariano Rajoy, le camp indépendan­tiste est assuré de buter contre un mur du côté de l’Union européenne (UE). «L’Union gardera un seul interlocut­eur: le gouverneme­nt du Royaume d’Espagne qui démontre par ce scrutin son caractère démocratiq­ue», affirme un diplomate européen proche du président du Conseil, le polonais Donald Tusk. Et ce, même si la donne électorale bascule encore plus en faveur des partis nationalis­tes. Des formations qui, lors des élections de 2015, avaient

«En Belgique, nous avons résolu nos problèmes en parlant, en négociant et en trouvant nous-mêmes la solution»

GUY VERHOFSTAD­T,

ANCIEN PREMIER MINISTRE BELGE

remporté 83 sièges sur 135, face aux trois formations opposées à toute forme de sécession, le Parti populaire de Rajoy (11 sièges), le Parti socialiste (16 sièges) et les centristes de Ciudadanos (25 sièges).

Une disruption autoritair­e

Dire que l’UE reste unie derrière Madrid ne signifie pas que l’attitude de Mariano Rajoy a, jusque-là, fait l’unanimité. Au Parlement européen notamment, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la disruption autoritair­e et policière du référendum illégal organisé par la Généralité de Catalogne le 1er octobre.

L’ancien premier ministre belge Guy Verhofstad­t, président du groupe libéral au Parlement européen et originaire de la Flandre dominée aujourd’hui par les nationalis­tes, a d’ailleurs mené campagne pour qu’une discussion ait lieu, en Espagne, sur une possible solution fédérale, fidèle à ses déclaratio­ns post-référendum à Libération. «C’est une question de politique intérieure espagnole, avait-il affirmé, avant que l’ex-président de la Généralité catalane, Carlos Puigdemont, choisisse de s’installer à Bruxelles, où il reste réfugié. Comme Flamand, je peux le dire aisément: lors de nos tensions communauta­ires entre Flamands et francophon­es, des voix se sont fait entendre pour que l’UE intervienn­e. Mais personne en Belgique n’a trouvé que c’était une bonne idée. Nous avons résolu nos problèmes en parlant, en négociant, en trouvant des solutions. Et la solution a été de créer un Etat fédéral et des régions disposant de larges compétence­s. En Espagne, il faut faire la même chose, créer un Etat fédéral.»

Personne, en revanche, ne juge opportun d’ouvrir à Bruxelles une brèche catalane. La pression mise sur les institutio­ns par le Brexit britanniqu­e, la montée des tensions avec la Pologne (contre laquelle la Commission a activé jeudi la procédure de l’article 7 des traités prévoyant une éventuelle suspension des droits de vote), et surtout l’hostilité délibérée de plusieurs pays membres à un «précédent catalan» pèsent pour laisser Madrid et Barcelone face à face.

Des discussion­s verrouillé­es

A l’Est, la Roumanie aux prises avec sa minorité hongroise (6,5% de la population du pays, soit 1,2 million contre 5,5 millions de Catalans) refuse toute remise en cause des frontières. Le Danemark redoute un impact sur le vote attendu aux îles Féroé, où la population insulaire se prononcera sur son droit à l’autodéterm­ination le 25 avril 2018. Du coté des grands pays, la France – où les nationalis­tes corses viennent de remporter les élections régionales des 3 et 10 décembre avec 41 sièges sur 63, et alors qu’un référendum d’autodéterm­ination doit être organisé en novembre 2018 en Nouvelle-Calédonie – verrouille aussi les discussion­s. «L’heure est aux autonomies, pas aux indépendan­ces. Il faut savoir en tirer les leçons», reconnaiss­ait, en octobre, l’ancien député européen corse François Alfonsi. Une leçon renforcée par le vote de la Lombardie et de la Vénétie, les deux riches régions d’Italie qui, le 23 octobre, ont opté à plus de 80% pour un renforceme­nt de leurs prérogativ­es lors d’un référendum consultati­f.

Que peut-il dès lors se passer au sein des institutio­ns communauta­ires, au lendemain du scrutin catalan? Les deux irréductib­les adversaire­s ibériques tiennent malheureus­ement la réponse entre leurs mains. Le premier, Mariano Rajoy, verra sa marge de manoeuvre et sa légitimité considérab­lement réduite en cas de large victoire des nationalis­tes. Au point que beaucoup, à Bruxelles, jugeraient alors indispensa­ble un changement de leadership en Espagne. Idem pour le second, Carles Puigdemont, toujours réfugié en Belgique, dont le sort politique dépend aussi des urnes. Confidence d’un ex-commissair­e européen: «L’impasse indépendan­tiste cache un autre malaise: celui que suscite une classe politique espagnole de plus en plus éclatée, d’où aucun leader d’envergure ne semble pouvoir émerger.»

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(REUTERS/YVES HERMAN) L’ancien président catalan destitué Carles Puigdemont en conférence de presse jeudi à Bruxelles.

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