Romain Gary rendu au mieux
Exercice risqué d’adaptation cinématographique liant romanesque épique et romanesque intime, ce film de facture classique propose un portrait de l’écrivain en jeune homme passionnément attaché à sa mère
Réalisée par Eric Barbier, l’adaptation de La Promesse de l’aube de Romain Gary réussit le pari, pourtant très difficile, inhérent à ce genre d’exercice. Si le film ne pouvait que trancher dans l’épaisseur du roman, il met très bien en scène l’un de ses principes: le rapport passionné de Gary avec sa mère.
Pour qui a vu Yves Saint Laurent, Five ou Un Homme idéal, voire L’Odyssée, Pierre Niney, à l’instar de Guillaume Gallienne, son collègue de la Comédie-Française, est un fléau pour le cinéma. Que cette grande asperge insipide puisse incarner un homme aussi complexe et tourmenté que Romain Gary (1914-1980), fameux mystificateur, grand écrivain, grand séducteur, diplomate, aviateur, augurait le pire. D’autant plus que le réalisateur Eric Barbier n’a jamais fait trop d’étincelles avec ses petits polars (Toreros, Le Serpent, Le Dernier Diamant…).
Or, surprise inattendue, La Promesse de l’aube, plutôt réussi, remplit la promesse des producteurs de revenir à «un cinéma classique et populaire» qui s’est raréfié en France et dont les modèles seraient Germinal, La Reine Margot ou Jean de Florette, soit des classiques de la littérature mis en images sans lésiner sur les coûts. La référence du cinéaste est Little Big Man, ce western d’Arthur Penn, dont il admire la structure permettant de trimbaler le héros de situations cocasses en situations tragiques, d’une culture à l’autre: il n’est à sa place ni chez les Blancs, ni chez les Indiens. A l’instar de Romain, raillé en Pologne pour sa francophilie et discriminé en France comme Juif polonais. Quant à Pierre Niney, il parvient habilement à faire passer sa fadeur pour du dandysme.
Déjà porté à l’écran en 1970 par Jules Dassin avec Melina Mercouri, illustré en 2014 par Joann Sfar, La Promesse de l’aube est un roman imposant dans lequel l’écrivain se souvient de son existence, et la réinvente au besoin, sans se donner la peine de départager la réalité du mythe. Eric Barbier a dû réduire de deux tiers cette matière foisonnante, la recentrer sur le couple mère-fils et la réorganiser en trois grandes époques.
Le film commence, comme 007 Spectre, au Mexique pendant la fête des morts. Romain Gary croit qu’il va mourir d’un cancer au cerveau. Dans la voiture qui l’emmène à l’hôpital, sa femme lit les premières pages de La Promesse de l’aube et s’extasie. La tumeur s’avère une otite et cette introduction une mauvaise idée de mise en abîme. L’histoire démarre véritablement à Wilno, en Pologne (aujourd’hui Vilnius, Lituanie) dans les années 20, quand le petit Romain adapte son destin aux rêves extravagants de sa mère, Nina (Charlotte Gainsbourg).
Cette actrice ratée, exilée de Russie, lutte énergiquement contre les revers de l’existence et gagne sa vie comme modiste. Elle s’invente une gloire parisienne et met la pression sur son fils pour qu’il devienne un homme d’honneur, un soldat, un ambassadeur de France et un écrivain, Tolstoï ou Victor Hugo de préférence. Lorsque Romain rentre indemne d’une confrontation avec des gamins qui l’ont injuriée, Nina le baffe et hurle: «Si on insulte ta mère, je veux qu’on te ramène sur
Pierre Niney dans le rôle de Romain Gary – et Charlotte Gainsbourg dans celui de sa mère.
un brancard.» Il se conformera en tout point à ces projections, chérissant inconditionnellement sa mère et la France. «Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances.»
Nina et Romain partent s’établir dans le sud de la France. Elle vend
Le film remplit la promesse de revenir à «un cinéma classique et populaire»
des objets d’art, puis tient une pension à Nice. Lorsqu’il part étudier à Paris, la mère possessive n’arrive pas à le lâcher. Elle exulte quand une première nouvelle est publiée. Jamais à court d’idées délirantes, elle projette d’envoyer son fils bienaimé à Berlin tuer Hitler. Elle sauve malgré elle son rejeton: au moment où il s’apprête à rejoindre le général de Gaulle en Angleterre, elle l’appelle au téléphone, et l’avion dans lequel il allait monter explose!
A Londres, Romain se bat en duel au pistolet avec un officier polonais. Envoyé en Afrique, il contracte la fièvre typhoïde, mais revient d’entre les morts. Navigateur dans un bombardier pilonnant les lignes allemandes, il réussit à ramener l’avion à la base en guidant le pilote aveuglé par une blessure…
Durant toute la guerre, Nina envoie des lettres à son fils. Il ne la reverra pas: quand la paix revient, elle est décédée. Eperdu d’amour filial, Romain découvre la sublime supercherie qu’elle a montée pour qu’il ne perde pas l’espoir. Parce qu’elle réussit à lier le romanesque épique et le romanesque intime, cette adaptation d’une texture délicieusement surannée remporte son impossible pari avec la mention bien.
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La Promesse de l’aube, d’Eric Barbier (France, 2017), avec Pierre Niney, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon, JeanPierre Darroussin, 2h10