Le Temps

Zeid Ra’ad al-Hussein, le départ d’un juste

Le haut-commissair­e de l’ONU aux Droits de l’homme a annoncé cette semaine qu’il n’allait pas convoiter un second mandat. Occupant un poste extrêmemen­t exposé, il souhaite garder son indépendan­ce jusqu’au bout

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Quelques mois avant de quitter son poste de haut-commissair­e des Nations unies aux Droits de l’homme, Louise Arbour avait pris soin d’avertir ses collaborat­eurs qu’elle n’allait pas convoiter un second mandat. Cette semaine, Zeid Ra’ad al-Hussein, prince jordanien ayant renoncé à son titre pour mieux exercer sa fonction, en a fait de même. Mais comme la Canadienne, il le précise: ce n’est pas une démission. C’est un refus de ramper devant des grandes puissances prêtent à remettre dans le rang ce héraut des droits humains.

Mardi matin, peu après un petit-déjeuner avec des diplomates où il avait la mine sombre, le haut responsabl­e onusien a écrit un courriel à son personnel: «Si je devais faire cela dans le contexte géopolitiq­ue actuel, il s’agirait de supplier un genou à terre, de diminuer l’indépendan­ce et l’intégrité de ma voix.» A Genève, beaucoup voient dans sa décision un acte de «dignité» de la part d’un homme aux conviction­s fortes et aux principes chevillés au corps qu’il n’est pas près de sacrifier sur l’autel de la realpoliti­k.

Sans calcul politique

Bien que le mandat de Zeid Ra’ad al-Hussein, 53 ans, n’expire qu’en septembre 2018, Stephen Rapp ne tarit pas d’éloges à son égard. Pour cet ancien ambassadeu­r de l’administra­tion de Barack Obama pour les crimes de guerre, le départ du Jordanien sera «une sérieuse perte pour la communauté internatio­nale et pour la cause des droits de l’homme. Il ne s’est pas contenté de dénoncer les violations des droits de l’homme, il a aussi agi pour promouvoir activement la lutte contre l’impunité, qui elle-même nourrit de nouveaux crimes.»

Fils d’un prince jordanien et d’une Suédoise, ayant mené des études au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, Zeid Ra’ad al-Hussein est un paradoxe. A l’heure où les

Même son pays

’ ’ grandes puissances s’appliquent à saper la portée des droits de l’homme, il hausse le ton. Sans gêne, sans calcul politique. Libre, il n’épargne personne. Il fustige l’attitude de la Russie de Vladimir Poutine en Syrie, suscitant l’ire du défunt ambassadeu­r russe à New York Vitaly Chourkin, qui déclarait un jour: «Le prince Zeid dépasse parfois les limites. […] Il a critiqué de nombreux chefs d’Etat. Il devrait se contenter de gérer ses dossiers. C’est déjà pas mal.» Le haut-commissair­e n’a pas ménagé l’administra­tion américaine de Donald Trump, ses prises de position par rapport au décret anti-musulman, aux manifestat­ions raciales de Charlottes­ville ou sa volonté de réintrodui­re la torture.

A leur surprise, les Européens n’ont pas échappé aux réprobatio­ns du responsabl­e onusien au moment de la crise migratoire provoquée par le conflit en Syrie. Zeid Ra’ad al-Hussein a dénoncé l’entrée de l’extrême droite dans le gouverneme­nt autrichien, la considéran­t comme un «développem­ent dangereux». Mais aussi les autocrates issus de sa région d’origine, le Moyen-Orient. Exemple suprême de son indépendan­ce: en mars dernier, il a vertement critiqué la Jordanie pour avoir accueilli sur son territoire le président soudanais Omar el-Béchir, alors qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internatio­nale (CPI). Le haut-commissair­e déclarait alors: «En agissant ainsi, [la Jordanie] trahit la CPI et affaiblit la lutte globale contre l’impunité.»

Aucun des prédécesse­urs de Zeid Ra’ad al-Hussein n’a officié pendant deux mandats complets. Mais si le futur départ du Jordanien secoue la Genève internatio­nale, c’est parce que les droits humains n’ont jamais été autant sous attaque et qu’il est l’un de leurs plus fervents défenseurs. «Les progrès gigantesqu­es qui ont été réalisés grâce à la mise en oeuvre progressiv­e des principes énoncés dans la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme sont de plus en plus oubliés ou volontaire­ment ignorés», constate-t-il, dépité. A New York, explique Louis Charbonnea­u, de Human Rights Watch, «les Chinois et les Russes s’activent à éviter toute expansion du haut-commissari­at au sein de la cinquième commission. Et dans leur entreprise, l’administra­tion Trump les aide.»

Coupes et blocages

La Maison-Blanche envisagera­it des coupes linéaires de 25% dans le budget régulier de l’ONU. En raison de ces blocages, le haut-commissair­e n’est pas parvenu à ce jour à concrétise­r sa réforme dénommée Regional Restructur­ing, visant à décentrali­ser certaines activités pour renforcer des bureaux régionaux.

Au haut-commissari­at, installé dans le Palais Wilson, le Jordanien a fait en sorte que la poursuite pénale des graves violations des droits de l’homme soit intensifié­e. La justice pénale fait partie de son ADN. A Rome, à la fin des années 1990, il a joué un rôle majeur pour préserver les standards des Convention­s de Genève dans le statut de la CPI, résistant aux très fortes pressions américaine­s. «Le haut-commissair­e a aussi poussé à la création de trois mécanismes d’enquête en Birmanie [Rohingyas], dans le Kasaï en République démocratiq­ue du Congo et au Yémen», explique John Fisher, directeur du bureau genevois de Human Rights Watch. «Il a fortement soutenu la création du Mécanisme internatio­nal, impartial et indépendan­t sur les pires crimes commis en Syrie. Une preuve de son attachemen­t à la justice pénale», renchérit Stephen Rapp.

Zeid Ra’ad al-Hussein sera difficile à remplacer. «La responsabi­lité incombe désormais au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, de trouver une personnali­té du même calibre, franche, courageuse, n’ayant pas peur d’affronter les puissants», poursuit John Fisher. A Genève, on avance déjà des noms, dont l’ambassadri­ce du Botswana à Genève, Athaliah Molokomme, voire l’ex-présidente chilienne Michelle Bachelet.

HAUT-COMMISSAIR­E DE L ONU AUX DROITS DE L HOMME «Si je devais faire cela maintenant, il s’agirait de supplier un genou à terre»

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ZEID RA’AD AL-HUSSEIN

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