Le Temps

Pour Jérusalem, rêvons un rêve

- FRANÇOIS GARAÏ RABBIN, GENÈVE

Que de complicati­ons au sujet de Jérusalem, cette ville au sujet de laquelle nous, Juifs, prions chaque jour. Dans la 14e bénédictio­n de la prière centrale de l’office quotidien, nous disons: A Jérusalem, Ta ville, Tu résideras et Tu l’empliras de justice et d’équité; construis Sion dans une permanence, bientôt et de nos jours. Béni sois-Tu Eternel, qui bâtis Jérusalem. Une telle prière quotidienn­e concernant Jérusalem n’existe que dans la liturgie juive. Et toute l’année, pendant nos prières, nous nous tenons dans la direction de Jérusalem.

Constatons que lorsque Jérusalem faisait partie d’un ensemble étatique ou national autre que juif, elle ne fut jamais une capitale. Elle ne le fut que dans le cadre d’un royaume ou d’un état juif et ce, depuis l’Antiquité.

Rappelons qu’en 1995, le Congrès américain a voté à l’unanimité le Jerusalem Embassy Act, qui invitait le Président des Etats-Unis à transférer l’ambassade américaine à Jérusalem.

Remarquons également que Bill Clinton, George Bush Junior et Barack Obama, lors de leur campagne pour la présidence, se sont tous engagés à ce que, une fois présidents, ils déclarerai­ent Jérusalem capitale de l’Etat d’Israël.

Enfin observons que, dans la pratique diplomatiq­ue, lorsqu’un président ou un ministre se rend en Israël, il rencontre son homologue israélien à Jérusalem. Il en va de même du Pape.

Si la Déclaratio­n d’indépendan­ce de l’Etat d’Israël fut prononcée à Tel-Aviv et non à Jérusalem, c’est que David Ben Gourion, laïc affirmé, voulait que ce moment ne soit pas rendu encore plus écrasant émotionnel­lement par la charge liée à Jérusalem. Et on voit bien que ces derniers temps, cette charge émotionnel­le ne s’est pas estompée, ni chez nos coreligion­naires, ni chez les musulmans, du moins parmi leurs dirigeants politiques et religieux.

Qu’en penser? Faut-il dire ce qui se pense mais ne doit pas se dire? Faut-il taire ce qui peut se penser mais non se dire? Je ne sais pas quelle est la bonne réponse, et nul ne le sait. Seuls les développem­ents à venir nous le diront. Et pour que ces développem­ents aillent dans le sens de la paix, encore faut-il se départir des pulsions qui font appel à la rage ou à l’exaltation.

Le statut de Jérusalem dépend-il de la déclaratio­n du président d’un pays, quel qu’il soit? Le penser, c’est rabaisser Jérusalem au rang de sujet politique et l’exclure du domaine spirituel. Je souhaite que pour les croyants chrétiens, musulmans et les nôtres, Jérusalem reste une ville ouverte comme elle l’est aujourd’hui et ne soit pas divisée comme entre 1948 et 1967, lorsque les Juifs étaient interdits dans la partie annexée par la Jordanie.

Je souhaite que Jérusalem, en hébreu: Yerouchala­yim, devienne ce que son nom indique: la ville de la double paix. La paix est complexe, elle doit satisfaire toutes les parties et apaiser toutes les tensions. C’est pourquoi je rêve d’un consensus au sujet de Jérusalem et je sais que c’est un rêve. Je rêve que Jérusalem soit Yerouchala­yim/la ville de la double paix, celle de tous ceux qui l’habitent, que les institutio­ns de l’Etat d’Israël qui s’y trouvent puissent continuer à l’être et que soit trouvée pour les Palestinie­ns une solution équitable qui leur donnera un sentiment de plénitude.

Cette ville concerne les religions juive, chrétienne et musulmane, toutes tendances confondues, c’est-à-dire la majorité de la population mondiale. Comme le rappelle le rabbin David Meyer, pourquoi ne pourrait-on donc pas concevoir qu’une partie de cette ville devienne hefker, c’est-à-dire sans propriétai­re ou hors de toute souveraine­té – comme il en va des institutio­ns onusiennes dans le monde – afin d’être hekdèch c’est-àdire consacrée au-delà de toute politique et au-delà de tout état. Ne pourrait-elle pas être le siège d’une organisati­on internatio­nale, avec un statut d’extra-territoria­lité, concernée par l’avenir de notre planète comme par exemple le siège d’une organisati­on mondiale pour le développem­ent durable et l’écologie, et également une branche de l’Unesco, la culture étant gage d’apaisement. Cela permettrai­t de relâcher le noeud qui enserre Jérusalem. Elle serait alors pleinement la ville de la double paix, celle de la région et celle pour tous.

Je vous avais bien dit que je rêvais! Mais un jour la réalité sera ce rêve.

Le statut de Jérusalem dépend-il de la déclaratio­n du président d’un pays, quel qu’il soit? Le penser, c’est rabaisser Jérusalem au rang de sujet politique

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