Le Temps

«C’est rare, un auteur qui vous fait éclater de rire»

LIVRES Spécialist­e de Romain Gary, Julien Roumette explique l’engouement que l’écrivain ne cesse de susciter

- PROPOS RECUEILLIS PAR LISBETH KOUTCHOUMO­FF @LKoutchoum­off

L’oeuvre de Romain Gary, disparu en 1980, n’inspire pas que les réalisateu­rs (lire ci-contre). Le dessinateu­r Manuele Fior vient de publier un roman graphique à partir de La Vie devant

soi. Cet automne, le romancier François-Henri Désérable élaborait Un certain M. Piekielny

(Gallimard) à partir de La Promesse de l’aube. Plus tôt, Laurent Seksik revenait sur l’enfance de l’écrivain dans Romain Gary s’en va-t-en guerre (Flammarion). D’où vient cet engouement? Spécialist­e de Romain Gary, Julien Roumette enseigne la littératur­e française à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès. Il nous livre les raisons de cette cote de popularité exceptionn­elle.

Qu’est-ce qui séduit à ce point dans

l’oeuvre de Romain Gary? Si Gary a tant de succès, et qu’il dure, c’est que la lecture de ses livres fait du bien. D’abord par l’humour. Ils ne sont pas si nombreux, les livres que l’on lit en se surprenant à éclater de rire. Ensuite, parce que, comme tous les grands comiques, son humour plonge ses racines dans des angoisses profondes, qu’il aide à affronter. La Promesse de

l’aube est un livre à la fois jubilatoir­e et profondéme­nt optimiste, tout en racontant une histoire tragique.

Gary a commencé à forger son oeuvre dans les heures les plus sombres de la guerre. Il définit un de ses héros comme un «esperado», quelqu’un qui ne peut pas parvenir à désespérer. De ce point de vue, Gary incarne, à sa façon, avec son humour, l’esprit des combattant­s de la France Libre et de la Résistance. Il y est toujours resté fidèle.

Assiste-t-on à un regain d’intérêt pour ses livres ou sa cote est-elle toujours restée élevée? Gary a toujours été beaucoup lu. Il fait partie de ces auteurs dont on a plaisir à passer les livres à ses amis, que l’on a envie de partager. Il a amené à la lecture de nombreux jeunes aussi. C’est un écrivain qui a su beaucoup se renouveler et rester en contact avec de multiples génération­s. Et cela reste vrai aujourd’hui. Il touche toutes les catégories de lecteurs, y compris les plus jeunes.

Le regard sur son oeuvre et sur lui a-t-il changé depuis sa disparitio­n? On lui en a beaucoup voulu de son personnage public, qui lui a fait de l’ombre de son vivant. Compagnon de la Libération, mari d’une star de cinéma – Jean Seberg –, la diplomatie, le Goncourt, Hollywood, cela faisait beaucoup… Et puis le milieu éditorial, qu’il avait ridiculisé avec l’invention – géniale – de son double Ajar, a mis du temps à le lui pardonner. Gary a joué le public contre les institutio­ns littéraire­s. Et il a souvent gagné.

Aimé du public et objet d’études universita­ires, presque quarante ans après sa mort… Romain Gary

reste un cas à part, non? Oui, contrairem­ent à beaucoup d’autres écrivains parmi ses contempora­ins, son oeuvre perdure et s’affirme. On perçoit sans doute mieux aujourd’hui l’originalit­é de ce qu’elle a apporté à la littératur­e française, son humour provocateu­r et salutaire – tout en conservant une grande humanité dans le regard sur les hommes, les femmes, les adolescent­s. Par quel livre conseillez-vous de le découvrir? La Promesse de l’aube, bien sûr! Mais aussi La Vie devant soi et Chien blanc. Ses derniers livres sont également de très beaux romans: Les Cerfs-volants (signé Gary) et L’Angoisse du roi Salomon (signé Ajar).

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JULIEN ROUMETTE ENSEIGNANT À L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSEJE­AN-JAURÈS

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