Le Temps

Des albums de Noël, comme s’il en neigeait

- VIRGINIE NUSSBAUM @VirginieNu­ss

«Santa Baby», «Jingle Bells»... A chaque fin d’année son lot de tubes festifs, inlassable­ment repris par les stars de la pop et qui séduisent toujours autant. Retour sur ce phénomène anglo-saxon, qui gagne peu à peu nos ondes radio

Comme une neige d'automne, l'annonce avait surpris tout le monde. Sia, la chanteuse pop sans visage aux refrains puissants et au look noir-blanc, révélait en octobre que son huitième opus serait...un album de Noël. Après un teasing Instagram façon ruban et papiers-cadeaux, on découvrait «Everyday is Christmas», une collection de dix morceaux festifs, allant du tube «Santa's Coming for Us» au rebondissa­nt «Ho Ho Ho», en passant par «Snowman», sorte de déclaratio­n énamourée à un bonhomme de neige déprimé.

L'artiste australien­ne n'est de loin pas la seule à faire dans les guirlandes et cotillons: Gwen Stefani a récemment dévoilé son album de fin d'année, tout comme son mari et roi de la country Blake Shelton ou encore Tom Chaplin, ancien chanteur du groupe Keane.

Rien qu'en 2017, une vingtaine d'artistes, majoritair­ement outre-Atlantique, ont sorti de leur hotte un album de Noël. Avec toujours les mêmes dénominate­urs communs : une musique guillerett­e, le plus souvent rythmée par les grelots ou les tintements de cloches, qui raconte les traineaux, les sapins et la joie d'être ensemble. Contrairem­ent au cas de Sia, qui a composé l'intégralit­é de son album, l'exercice implique généraleme­nt de reprendre des grands classiques du genre comme «Jingle Bells» ou «Baby it's Cold Outside», refrains ancrés dans le patrimoine culturel américain depuis plusieurs décennies.

Vaches à lait

Car si la tradition chrétienne des chants de fin d'année remonte aussi loin que l'histoire de la Nativité, c'est bien dans les années 40 qu'elle gagne l'industrie musicale. Portés par les voix de crooners comme Frank Sinatra ou encore Bing Crosby, ces morceaux doux et sucrés remportent à l'époque un franc succès. «Plus tard, dans les sixties, les artistes pop et rock ont tenté de reprendre le filon, explique Kory Grow, journalist­e sénior chez RollingSto­ne.com. Les années 80 ont apporté leur lot de compilatio­ns spéciales, réunissant Whitney Houston ou U2. Et en 1994, Mariah Carey sortait «All I Want for Christmas Is You», tube devenu depuis un un vrai hymne de Noël».

Ce titre ne vous dit peut-être rien et pourtant, il bat tous les records. Ce mois-ci, plus de vingt ans après sa sortie, il réintègre le top 10 des charts et rapportera­it plus de 300'000 dollars par an à Mariah Carey. Chanter Noël, une stratégie business? «Evidemment, ça joue un rôle, assure Kory Growe. Ces tubes sont des vaches à lait pour certains artistes, car ils leur assurent une rentrée d'argent chaque hiver».

Au-delà de l'opportunit­é financière, l'album festif, par définition zéro-risque, permet de relancer des carrières qui s'étiolent. Mais surtout, il comporte une forte connotatio­n symbolique. «On peut parler d'un rituel de consécrati­on. Enregistre­r son album de Noël, pour un artiste de variété, c'est faire partie des grands», souligne Marc Perrenoud, sociologue à l'UNIL et spécialist­e des musiques actuelles.

Une manière de rentrer dans le cercle des géants de la pop, mais aussi dans les rangs. «Elvis Presley, par exemple, avait une image qui faisait peur aux parents, note Marc Perrenoud. En sortant son album de Noël en 1957, il s'est rendu sympathiqu­e, il a montré qu'il adhérait aux valeurs familiales américaine­s. C'est une sorte de machine à bons sentiments grâce à laquelle l'artiste devient consensuel et élargit son public».

Cette joyeuse opération de communicat­ion, dont ont profité dans le désordre Justin Bieber, James Brown ou encore Michael Buble, n'a jamais vraiment gagné la francophon­ie. Peu d'artistes chantent Noël sous nos latitudes, et ceux qui ont tenté le coup n'ont pas obtenu le succès espéré. Pourtant, on entend de plus en plus souvent ces refrains anglo-saxons résonner dans nos grands magasins. «Comme pour les mariages, cela fait partie de l'américanis­ation de notre culture, argumente Marc Perrenoud. Cela a un côté normatif très rassurant: pour des bonnes fêtes de fin d'année, voilà ce qu'il faut écouter».

Traditionn­elle ou superficie­lle, cette tendance ravit en tout cas les jeunes oreilles. Une récente étude a montré que ce sont les millennial­s, plus que leurs parents, qui affectionn­ent les mélodies de Noël. Décembre n'en a pas fini d'emballer les ondes.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland