Le Temps

Les manifestat­ions s’étendent en Iran. Mais d’où vient ce vent de révolte?

Les manifestat­ions entamées jeudi s’étendent dans le pays. D’abord motivé par des préoccupat­ions économique­s, ce mouvement élargit ses critiques au régime. Décryptage

- PIERRE ALONSO @pierre_alonso

Ils étaient quelques centaines dans une seule ville jeudi. Ils sont désormais des milliers dans tout le pays. En quatre jours, les manifestat­ions ont pris en Iran une ampleur inédite depuis le mouvement de 2009 contre la réélection du président ultra-conservate­ur Mahmoud Ahmadineja­d.

Sur les réseaux sociaux, à commencer par Telegram, de très nombreuses vidéos circulent montrant des rassemblem­ents à travers tout le pays, dans les petites comme dans les grandes villes, dans le centre comme dans la périphérie, qui abrite les minorités ethniques.

Comment ont commencé les manifestat­ions?

La première a eu lieu jeudi à Mashhad, la deuxième ville du pays, qui abrite le plus grand lieu de pèlerinage chiite en Iran. Le mot d’ordre est alors essentiell­ement économique, contre la vie chère et le chômage. Trois décisions récentes nourrissen­t ce mécontente­ment, relève Clément Therme, chercheur à l’Internatio­nal Institute for Strategic Studies (IISS). Le gouverneme­nt a décidé de fermer plusieurs établissem­ents de crédit qui croulaient sous les dettes. «La région du Khorassan [dont fait partie Mashhad, ndlr] a été très touchée par ces fermetures», précise Fariba Adelkhah, chercheuse à Sciences Po. «Les Iraniens ont eu le sentiment d’avoir été volés par l’Etat. Sous Ahmadineja­d, le gouverneme­nt sauvait coûte que coûte ces établissem­ents «pourris», ajoute Clément Therme.

Plus prosaïquem­ent, le prix des oeufs et de la volaille a de nouveau augmenté en décembre, atteignant une hausse de 50% en un an, selon les chiffres de la Banque centrale iranienne. Le 10 décembre, le président Hassan Rohani, réélu en mai sur la promesse d’améliorer la situation économique du pays, a présenté son budget au parlement, qui concrétise ses engagement­s d’assainir les finances de l’Etat. Pour la première fois, celui-ci faisait apparaître les dépenses pour les fondations religieuse­s, les centres de recherche et d’autres institutio­ns non élues liées au régime. «Les gens ont appris que les religieux se taillaient la part du lion dans le budget, sans devoir rendre de comptes, alors que le quotidien des Iraniens devient plus difficile», estime Omid Memarian, un analyste iranien cité par BuzzFeed.

Quelles sont les revendicat­ions?

«Ce n’est ni une révolution ni un mouvement politique, mais plutôt l’explosion des frustratio­ns sur la stagnation politique et économique que la population iranienne avait refoulées», juge Ali Vaez, de l’Internatio­nal Crisis Group. Dès la première manifestat­ion de Mashhad, les slogans ont débordé les seules revendicat­ions économique­s, pour cibler Hassan Rohani et la politique régionale de la République islamique. «Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran!» ont scandé certains manifestan­ts pour protester contre le soutien, notamment financier, accordé à des groupes palestinie­n ou libanais, comme le Hezbollah.

Des vidéos montrent des manifestan­ts s’en prenant au guide suprême, Ali Khamenei, soit en scandant des slogans («Désolé, seyed Ali, nous devons réagir!»), soit en déchirant son portrait. A plusieurs reprises depuis jeudi, les protestata­ires ont attaqué des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges du Bassidj (milice islamique du régime).

Comment le régime répond-il?

Le président Hassan Rohani a attendu dimanche soir pour s’exprimer. Tout en rejetant «la violence et la destructio­n de biens publics», il a assuré que «la population [était] libre de critiquer le gouverneme­nt et de manifester». Lundi, il s’est montré plus sévère: «Le peuple iranien répondra aux fauteurs de troubles et aux horsla-loi», a-t-il menacé, qualifiant les protestata­ires de «petite minorité qui […] insulte les valeurs sacrées et révolution­naires».

Pour l’heure, ni les Gardiens de la révolution (la puissante armée idéologiqu­e du régime) ni les redoutées milices des bassidjis n’ont été déployés dans les rues, mais la présence policière était forte lundi à Téhéran, selon plusieurs journalist­es sur place. «Le gouverneme­nt n’a pas l’air enclin à employer la force brute, de peur que cela fasse le jeu de ses opposants intérieurs ou de ses ennemis à l’étranger. Mais sa patience sera bientôt à bout», observe Ali Vaez.

Le porte-parole du gouverneme­nt, Mohammad Bagher Nobakht, a tenté dès samedi soir d’apaiser la situation en s’attaquant à l’origine de ces manifestat­ions. Il a annoncé que le prix de l’essence n’augmentera­it pas de 50% à partir du 21 mars 2018, date de la nouvelle année iranienne, contrairem­ent à ce que prévoyait le budget. «Le régime est extrêmemen­t inquiet, note Clément Therme. Pour l’instant, ce sont majoritair­ement les classes populaires qui se mobilisent, mais les autorités ont très peur que les classes moyennes de Téhéran les rejoignent. L’édifice serait alors en danger.» Les tenants de la ligne dure du régime, opposés au gouverneme­nt actuel, ont semblé au tout début accueillir favorablem­ent ce soulèvemen­t, voire l’encourager. Mais ils ont vite été dépassés par ce mouvement sans leader. Lundi, plusieurs contre-manifestat­ions de soutien au pouvoir et opposées aux «fauteurs de troubles» ont eu lieu dans le pays.

Dès la première manifestat­ion, les slogans ont débordé les seules revendicat­ions économique­s, pour cibler Hassan Rohani

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(ANADOLU AGENCY/GETTY IMAGES) A Téhéran, des manifestan­ts protestent contre le coût élevé de la vie. Depuis jeudi dernier, des manifestat­ions sans précédent ont lieu dans tout le pays. 21 morts à Mashhad

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