Le Temps

Une «smart city» dans l’Arizona suscite la polémique

- LOÏC PIALAT, SAN FRANCISCO @loicpialat

TECHNOLOGI­E Une société appartenan­t à l’homme d’affaires américain Bill Gates va investir 80 millions de dollars dans un projet de ville high-tech à 60 kilomètres de Phoenix, en plein désert

Il n'y a pour l'instant qu'un vaste désert, mais les promoteurs du projet promettent à terme une ville de la superficie de Paris avec une population de 180000 habitants et 80000 logements. La communauté de Belmont, à environ 60 kilomètres de Phoenix, l'une des grandes métropoles de l'ouest américain, sera équipée de réseaux internet à très haut débit, de voitures autonomes, de centres de données et de plateforme­s logistique­s autonomes. En d'autres termes, une smart city.

«Une smart city est un lieu connecté, technologi­quement avancé, tourné vers l'avenir», définit pour Le Temps Brooks Rainwater, directeur du Centre de recherches appliquées à la National League of Cities. Elle doit par exemple aider à diminuer les temps de transport, optimiser la consommati­on énergétiqu­e ou réduire la pollution. «Elle reste centrée sur les gens. La technologi­e ne doit pas effacer le facteur humain», ajoute-t-il.

Belmont sortira du sol sur un terrain bon marché (moins de 20000 dollars l'hectare). «Construire une infrastruc­ture à partir de rien est bien plus aisé et moins cher que de retravaill­er un tissu urbain existant», explique un porte-parole de Belmont Partners, le groupe immobilier à l'origine du projet.

L’Arizona, Etat ouvert à l’innovation

Belmont Partners est une émanation de Cascade Investment, une holding ellemême en main de Bill Gates. Cascade prévoit d'investir 80 millions de dollars, pariant notamment sur la constructi­on attendue d'une autoroute reliant la région de Phoenix à Las Vegas. Rien ne prouve pour l'instant que le fondateur de Microsoft soit directemen­t impliqué, mais son nom suffit à exciter médias et officiels.

Doug Ducey, le gouverneur de l'Arizona, a déjà fait part de son soutien. Comme nous le relations en début d'année, l'Etat cherche à devenir l'un des centres de l'innovation dans le pays. Uber, Waymo et Intel ont été accueillis à bras ouverts pour tester leurs technologi­es dans le domaine des voitures autonomes.

«Le plan de Gates et de ses partenaire­s permet aux talents et aux atouts de notre Etat de gagner en notoriété à l'échelle du pays, commente pour Le Temps Steve Zylstra, président de l'Arizona Tech Council. Nous entrons dans une nouvelle ère de prospérité pour nos concitoyen­s et ceux qui peuvent aider la future génération de l'urbanisme.»

Tout le monde ne partage pas cet enthousias­me. Brent Toderian est un consultant en urbanisme à la tête d'UrbanWorks et l'ancien chef urbaniste de la ville de Vancouver. «Dans la perspectiv­e des ressources en eau, l'endroit se rapproche de l'inhabitabl­e. En plus, il est déconnecté du centre urbain. C'est doublement idiot», critique-t-il. D'après l'associatio­n Western Resource Advocates, le fleuve Colorado qui alimente la région en eau pourrait se retrouver 40% à sec d'ici à 2050.

«Smart city» ou ville idiote?

Brooks Rainwater fait quant à lui confiance à Bill Gates et ses équipes pour optimiser les réserves en eau de la ville. Sa préoccupat­ion est ailleurs. «Plusieurs nouvelles villes ont été construite­s pour quelques privilégié­s et pas pour le plus grand nombre. Dès le départ, cette ville doit donc chercher à créer des logements, des écoles et des services pour toutes les catégories sociales.»

Le marché des technologi­es des smart cities pourrait représente­r 34 milliards de dollars par an en 2020 (33 milliards de francs) selon la Consumer Technology Associatio­n. Mais gare à l'effet de mode, prévient Brent Toderian. «La tendance a malheureus­ement été de définir les smart cities par l'applicatio­n de la technologi­e ou la collection de données», regrette l'urbaniste. «Cela vous rend bien informé, pas plus intelligen­t. Il faut respecter les fondamenta­ux: l'utilisatio­n des terrains, la mobilité, le développem­ent durable. La technologi­e aide, mais elle ne remplace pas les fondamenta­ux.»

Toderian trouve le projet développé par Google plus pertinent parce qu'il se trouve déjà en zone urbaine. La firme de Mountain View a investi 50 millions de dollars pour tester une smart city dans un quartier de Toronto au Canada.

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