Le Temps

Dans la peau de Churchill, l’incroyable métamorpho­se de Gary Oldman

- PAR CHRISTOPHE PINOL t @joromulasa­n

L’acteur a tout donné – y compris sa santé – pour incarner l’ex-premier ministre dans «Les Heures sombres». Il s’est d’abord attaché à comprendre le coeur du personnage mais s’est aussi reposé sur un colossal travail de maquillage. Retour sur une transforma­tion hors norme ◗ A l’affiche depuis mercredi dernier, Les Heures

sombres dresse un portrait très humain de Winston Churchill au début de la Deuxième Guerre mondiale. On y trouve surtout une prestation renversant­e de Gary Oldman, à peine reconnaiss­able sous les traits de l’ex-premier ministre britanniqu­e. Mais l’acteur a beau tenir le rôle principal du film de Joe Wright

(Reviens-moi), rares sont pourtant ceux à l’avoir aperçu sur le plateau durant le tournage. Un paradoxe qui s’explique quand on sait que le Sirius Black d’Harry Potter a littéralem­ent vécu dans la peau de Churchill pendant la totalité des prises de vues. Maquillage compris, s’entend.

Le matin, il arrivait quatre heures avant tout le monde pour se faire grimer et ressortait de sa loge dans la peau de l’homme d’Etat, la quasi-totalité du visage recouvert par des prothèses et vêtu d’un «costume» lui rajoutant la moitié de son poids en diverses poches pour donner du volume à sa silhouette. Il assurait alors ses douze heures de tournage et quittait les lieux une ou deux heures après tout le monde, une fois ses différente­s couches de silicone retirées. Soit l’expérience caméléon par excellence pour un acteur qui s’en est pourtant déjà fait une spécialité. On se souvient l’avoir vu se glisser au début de sa carrière dans la défroque du bassiste des Sex Pistols Sid Vicious, dans Sid and

Nancy; incarner avec brio le comte Dracula dans le film éponyme de Francis Ford Coppola; se couler dans la peau de Beethoven dans Ludwig von B., ou encore dans celle de Lee Harvey Oswald dans JFK…

ÉQUILIBRE À TROUVER

Quand Joe Wright lui propose le rôle, le comédien envisage une seconde se la jouer Robert De Niro dans

Raging Bull et prendre une trentaine de kilos. Mais à 58 ans, il ne veut pas mettre sa santé en péril. Surtout, il se remémore un projet inabouti pour lequel il devait déjà incarner Churchill il y a quelques années. Un film abordé à l’époque avec un certain Kazuhiro Tsuji, botte secrète du maquillage hollywoodi­en. Ce dernier est notamment responsabl­e de la métamorpho­se de Jim Carrey en Grinch, du vieillisse­ment de Brad Pitt pour L’Etrange Histoire de Benjamin Button ou encore de la transforma­tion de Joseph Gordon-Levitt en jeune Bruce Willis dans Looper. Gary Oldman lui voue une profonde admiration et pose une condition: il ne fera le film qu’avec lui. Problème: le Japonais s’est retiré du business depuis quelques années. Supportant mal le stress régnant sur les plateaux, il a préféré se tourner vers la sculpture.

Tant bien que mal, le comédien et son metteur en scène finissent par convaincre Kazuhiro, mais celui-ci émet de sérieux doutes quant à sa capacité à transforme­r l’effilé Gary Oldman en rondouilla­rd Winston Churchill. «Ils ne se ressemblen­t absolument pas, a-t-il expliqué sur les ondes de CBC Radio. Churchill avait une tête ronde et les yeux écartés, alors que celle d’Oldman est ovale et ses yeux rapprochés. Si on rajoute de l’épaisseur à son visage pour le rendre plus rond, ses yeux n’en paraissent alors que plus proches… Toute la difficulté a donc été de trouver un équilibre: ressembler au modèle tout en laissant Gary Oldman cohabiter sous le maquillage pour lui permettre d’exprimer des émotions.»

FRAGILE POSTICHE

Pendant six mois, ils essayent ainsi plusieurs variantes avant d’aboutir à la transforma­tion saisissant­e visible dans Les Heures sombres. Sous le visage poupin du premier ministre, on y perçoit effectivem­ent à peine l’acteur sous les joues, bajoues, cou et menton couverts de latex, le crâne affublé d’une perruque composée en partie de cheveux de bébé pour retrouver la délicatess­e des mèches du vieil homme. Un postiche si fragile qu’il doit être refait tous les dix jours. Sans oublier un gros travail de peinture à même les prothèses, pour retrouver le teint rosé et taché du politicien.

Mais le maquillage ne fait pas tout. Pour comprendre l’homme, capturer son essence, Oldman entame en amont un gros travail de recherche. Il épluche les biographie­s de Churchill, se plonge dans des films d’archives, parle aux membres de sa famille, et travaille même sa voix avec un chanteur d’opéra et un professeur de dialecte. Pendant un an, il cherche, tâtonne et peaufine son interpréta­tion, apprivoisa­nt peu à peu la bête jusqu’à se fondre littéralem­ent dans ce personnage cyclothymi­que, fantasque, retord, colérique et manipulate­ur, mais aussi doté d’un solide sens de l’humour.

LA COURSE À L’OSCAR

Mais vouloir incarner une figure historique à la perfection peut aussi s’avérer dangereux. Poussant le mimétisme à l’extrême, Gary Oldman s’est mis à fumer les cigares favoris de son modèle, les cubains Romeo y Julieta. Mais à coup de dix ou douze prises par scène, tout au long des cinquante-huit jours de tournage, ce ne sont pas moins de 400 barreaux de chaise qui vont disparaîtr­e entre les doigts de l’acteur. Avec, à la clé, une sévère intoxicati­on à la nicotine.Toujours est-il qu’Oldman tient peut-être là enfin la consécrati­on suprême. Le 23 janvier, il devrait sans surprise être nominé aux prochains Oscars, dont il figure déjà parmi les favoris. Car sa grande force, c’est finalement de nous faire totalement oublier les couches de latex, son regard perçant nous rappelant que c’est bien lui derrière le masque, et de transmettr­e néanmoins toute l’humanité du personnage. Un travail colossal! ▅

On perçoit à peine l’acteur sous les joues, bajoues, cou et menton couverts de latex

 ??  ??
 ??  ??
 ?? (UNIVERSAL PICTURES) ?? Sur le tournage du film, Gary Oldman a fumé plusieurs centaines de cigares, qu’affectionn­ait particuliè­rement l’homme d’Etat.
(UNIVERSAL PICTURES) Sur le tournage du film, Gary Oldman a fumé plusieurs centaines de cigares, qu’affectionn­ait particuliè­rement l’homme d’Etat.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland