L’antidote suédois au blues hivernal
Avec quelques heures de soleil par mois, les habitants du royaume nordique multiplient les stratégies pour éviter la dépression hivernale
SCANDINAVIE Avec quelques heures de soleil par mois, l’hiver en Suède peut s’avérer une épreuve difficile à vivre. A Stockholm, plus de 40% des habitants ressentent, durant cette saison, «une perturbation de l’humeur et une fatigue croissante». Pour éviter de sombrer dans la dépression hivernale, les habitants du royaume nordique multiplient les stratégies. Explications.
Trois jeunes femmes en maillot de bain se balancent dans des hamacs. Face à elles, une plage qui s’ouvre sur un lagon. Elles ferment les yeux pour mieux sentir le souffle chaud des alizés. L’illusion est presque parfaite… Si l’on oublie que nous sommes à Stockholm, qu’il est 15 heures, et qu’il fait déjà nuit. Le paysage n’est qu’une gigantesque carte postale collée sur le mur, et les alizés ont été reconstitués avec un ventilateur… et trois projecteurs. «Ces lampes vous apportent à la fois une lumière chaude et froide, avec des U.V., comme si vous étiez à la plage, précise Eilf Ohrling, qui travaille dans ce centre de relaxation baptisé Nirvana. Dehors il fait moins 10 degrés, c’est l’hiver, mais nous avons tous besoin de lumière pour vivre!»
«Fatigue accrue et perturbation de l’humeur»
A Stockholm, comme dans toutes les villes situées autour du 60e parallèle et au-delà, laisser passer l’hiver n’est pas une mince affaire. Dès le mois de novembre, et jusqu’à la toute fin janvier, la durée du jour est inférieure à huit heures. Le 21 décembre, jour le plus court de l’année, elle tombe à six heures, avec un soleil qui se lève à peine au-dessus de la ligne d’horizon. Au nord du pays, à Kiruna ou Abisko, l’obscurité totale s’installe pendant plusieurs semaines. Au sud, les jours sont plus longs, mais comme le souligne Arne Lowden, professeur à l’Université de Stockholm, «les nuages bas ou le brouillard dégradent la qualité de la lumière. L’hiver, nous n’avons que trente heures de soleil par mois. Et si vous travaillez, vous ne le voyez même pas.» Selon une étude menée par ce spécialiste du stress, du sommeil et des cycles circadiens, plus de 40% des habitants de la capitale suédoise ressentent «une perturbation de l’humeur et une fatigue accrue» pendant l’hiver.
Alors, les stratégies pour échapper à cette servitude géographique se multiplient. Des milliers de Suédois, dès les vacances de Noël, mettent le cap sur les tropiques. Ceux qui ont des moyens plus limités vont à la piscine… ou à Södertalje. Dans cette banlieue située à trente minutes du centre de Stockholm, une arène couverte et chauffée abrite huit cours de beach-volley, sur une immense étendue de sable fin. Pour Jakob, 33 ans, l’hiver suédois construit les caractères, comme jadis celui des Vikings, mais il ne résiste pas au plaisir de venir ici au moins une fois par semaine: «Dehors vous avez 20 centimètres de neige, et là je suis torse nu, en short, comme si j’étais à la plage!»
Rien qui n’étonne Maria Maxine, qui a participé à l’organisation d’une grande exposition, baptisée «Nordic Light», au Musée Nordiska de Stockholm: «Les Suédois ont passé des siècles à s’adapter à ces journées très courtes en hiver et très longues en été. Cela a même forgé une partie de notre identité nationale. Jusqu’en 1850, nous n’avions que la lumière des cheminées pour nous éclairer, car les bougies étaient une denrée rare que l’on allumait seulement pour les grandes occasions.»
L’un des premiers pays à s’électrifier
Une obscurité propice à l’invention de personnages imaginaires et légendaires, comme les trolls, innombrables dans le folklore local: «Les gens entendaient des bruits dans leur maison, dans l’obscurité, et racontaient des histoires. Toutes ces créatures ont disparu avec la généralisation de l’électricité, dans les années 1920.»
La Suède a en effet été l’un des premiers pays à s’électrifier en Europe, mais cette sensibilité à l’obscurité reste gravée dans sa culture. Tous les 13 décembre, pour la Sainte-Lucie, patronne des aveugles, une jeune fille à la tête couronnée de bougies allumées entre en procession dans les églises, pour éclairer les paroissiens. Cette tradition, qui remonte au Moyen Age, était destinée à apporter de la lumière – et de l’espoir – lors de ce jour que le calendrier julien considérait comme le plus court de l’année. Les Suédois, aujourd’hui, excellent dans l’art du luminaire. L’hiver, maisons et jardins sont savamment éclairés, alors que les bougies apportent une lumière tamisée dans les intérieurs.
Malgré ce confort qui est devenu partie intégrante de l’art de vivre suédois, passer trois mois de l’année dans une obscurité relative reste une épreuve. Contrairement à l’idée reçue, le taux de suicide en Suède est à peine plus élevé que la moyenne européenne. Reste l’écueil de la dépression. A l’hôpital universitaire de Huddinge, des patients vêtus d’une blouse blanche sont réunis dans une salle de la même couleur, baignée d’une lumière basse fréquence. Un livre posé sur sa poitrine, Liv, 23 ans, raconte son calvaire: «A partir d’octobre je commence à me sentir déprimée, comme si toute l’énergie était partie de mon corps. J’ai aussi des problèmes de concentration, et je commence à prendre du poids.» Cette dépression hivernale, ou seasonal affective disorder (SAD), n’existe pas sous l’équateur, mais touche en Suède 4% de la population, surtout les jeunes femmes.
Une paire de lunettes équipée de LED
Pour mieux mesurer l’impact de la lumière sur la santé et les comportements, Arne Lowden compare des populations types, aux styles de vie très éloignés. Des paysans qui vivent au rythme du soleil, et des habitants de Stockholm, soumis au long hiver nordique. Pour collecter ces données, il réunit des groupes de vingt volontaires, deux semaines en hiver, et deux semaines en été. Il leur distribue des montres équipées de capteurs, ainsi qu’un journal où ils doivent noter quotidiennement leurs états d’âme.
Pour ceux qui se sentent glisser vers le gouffre de la dépression, il dispose même d’une arme secrète. Sur son bureau trône une paire de lunettes équipée de miroirs réfléchissants à la place des verres, sous lesquels sont fixées quatre lampes LED à forte intensité. A allumer chaque matin, allongé, pendant vingt minutes. Et si ça ne suffit pas? Le chercheur laisse son regard errer par la fenêtre. Il fait nuit noire, et il n’est que 16 heures. «Dans ce cas quittez le pays pendant quelques semaines. Partez!»
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«Les gens entendaient des bruits dans leur maison, dans l’obscurité, et racontaient des histoires» MARIA MAXINE, CO-ORGANISATRICE DE L’EXPOSITION «NORDIC LIGHT» AU MUSÉE NORDISKA DE STOCKHOLM