Le Temps

Dialogue surprise entre les deux Corées

- LOUIS PALLIGIANO, SÉOUL

Pyongyang et Séoul ont décidé vendredi d’entamer des discussion­s sur la participat­ion nord-coréenne aux prochains JO d’hiver. L’occasion sera-t-elle saisie pour aborder d’autres sujets? Telle est la question

La semaine est à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire chaotique des relations intercorée­nnes. Séoul et Pyongyang ont convenu vendredi de tenir une réunion bilatérale de haut niveau au village de la trêve de Panmunjom, situé sur la frontière divisant la péninsule. Si ces pourparler­s ont lieu comme prévu ce mardi, il s'agira des premiers du genre depuis décembre 2015.

Epilogue d'une année de tensions extrêmes causées par les provocatio­ns nucléaires et balistique­s récurrente­s de la Corée du Nord, le discours du Nouvel An de Kim Jong-un a finalement ouvert la voie vers un réchauffem­ent diplomatiq­ue. Tout en continuant à défier militairem­ent les Etats-Unis, le dirigeant nord-coréen a esquissé un geste en direction de la Corée du Sud en exprimant son intention d'envoyer une délégation aux Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchan­g. Le royaume ermite restait jusque-là muet sur cette question, malgré les nombreux appels de Séoul ces derniers mois. La priorité étant pour le Sud de s'assurer que son turbulent voisin respectera la «trêve olympique» en participan­t aux Jeux.

Politique du rayon de soleil

Le président sud-coréen, Moon Jae-in, semble enfin récolter les fruits de sa politique du rayon de soleil. Une politique d'ouverture et d'apaisement qu'il mène tant bien que mal depuis le début de son mandat en mai, parallèlem­ent à la mise en oeuvre de sanctions contre le régime de Pyongyang. Un cercle vertueux paraît s'être opportuném­ent établi à l'approche des premiers JO d'hiver organisés par la Corée du Sud qui se dérouleron­t du 9 au 25 février. Le rétablisse­ment de la ligne de communicat­ion intercorée­nne après deux ans de suspension ainsi que le report au mois d'avril des exercices militaires conjoints de la Corée du Sud et des Etats-Unis ont eu l'effet escompté: Pyongyang a accepté l'offre de dialogue de Séoul.

Le défi est désormais de taille pour l'administra­tion Moon qui doit maintenir les meilleures relations possible avec le Nord, sans pour autant compromett­re sa coopératio­n avec Washington sur le dossier nucléaire de Pyongyang. Fait inhabituel, le régime nord-coréen – dont la rhétorique belliqueus­e l'amène parfois à menacer de transforme­r Séoul en «mer de feu» – a récemment qualifié Moon Jae-in de «président» et a fait état du désir de Kim Jong-un d'améliorer les relations NordSud. De nombreux observateu­rs voient dans ce brusque revirement un stratagème destiné à créer une brèche entre

La priorité pour le Sud est de s’assurer que son turbulent voisin respectera la «trêve olympique»

les deux alliés. Actuelleme­nt, 28500 soldats américains sont stationnés au sud du 38e parallèle, prêts à défendre le Sud contre une éventuelle attaque nord-coréenne. Une alliance vieille de 70 ans, née dans les cendres de la guerre de Corée. Branche d'olivier ou piège machiavéli­que? Park Won-gon, professeur de sciences politiques à l'Université Handong, se montre plutôt sceptique quant aux intentions affichées par le royaume ermite. «Kim était apparemmen­t préoccupé par le fait que Washington ait de plus en plus la possibilit­é de recourir à une option militaire. Il a trouvé une issue dans les relations avec le Sud», a-t-il dit à l'AFP.

La classe politique sud-coréenne demeure divisée vis-à-vis des discussion­s intercorée­nnes à venir. Pour Kim Sung-tae, chef de la première formation de l'opposition, «une réunion ayant uniquement pour but l'accueil réussi [de la Corée du Nord] aux Jeux olympiques de Pyeongchan­g sans évoquer la question de la dénucléari­sation n'aurait aucun sens».

Le camp conservate­ur s'inquiète aussi du fait que Pyongyang pourrait essayer de tirer avantage de sa participat­ion aux Jeux pour ralentir la portée des sanctions internatio­nales et semer la discorde parmi les Sud-Coréens. La formation démocrate au pouvoir a, quant à elle, salué une avancée significat­ive pour renouer les liens intercorée­ns. Son porte-parole a également prévenu que les disputes politiques ne feraient qu'aggraver la division nationale.

Méfiance américaine

Du côté des Etats-Unis, la méfiance est de mise. L'administra­tion Trump a précisé que, même si elle n'était pas opposée à l'idée de négociatio­n, le dialogue se limiterait aux Jeux olympiques, et qu'il ne devrait pas y avoir de concession­s faites aux efforts pour la dénucléari­sation complète de la Corée du Nord. Sur ce point, le chef de l'Etat sud-coréen s'est montré clair lors du récent entretien téléphoniq­ue avec son homologue américain. Moon y a souligné que les pourparler­s intercorée­ns contribuer­aient aux efforts conjoints des alliés pour débarrasse­r le royaume ermite de ses armes nucléaires.

Parmi les sujets de la réunion prévue la semaine prochaine, les deux Corées devraient aborder les détails de la participat­ion nord-coréenne et la possibilit­é pour leurs délégation­s respective­s de marcher ensemble lors des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchan­g. En 2000 à Sydney, en 2004 à Athènes et en 2006 à Turin, les athlètes du Sud et du Nord avaient défilé sous le même uniforme derrière un drapeau transnatio­nal représenta­nt une péninsule coréenne unifiée. Un symbole cher à Moon Jae-in, qui souhaite faire de ces JO un catalyseur pour atténuer les tensions sur la péninsule coréenne.

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(SOUTH KOREA UNIFICATIO­N MINISTRY/YONHAP VIA AP) Le «téléphone rouge» à la dispositio­n des deux Corées.

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