Le Temps

Les université­s d’élite américaine­s victimes de la réforme fiscale de Trump

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Harvard, Yale, Stanford et Princeton seront pénalisées par un impôt qui frappera le revenu des placements de leurs fonds de dotation. Pour Princeton, la taxe correspond­rait à 4000 dollars par étudiant. Un jeu risqué à l’égard des élites universita­ires

Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, Ben Bernanke, ex-président de la Fed, Lloyd Blankfein, patron de Goldman Sachs, Bill Gates, fondateur de Microsoft, toutes ces stars de l'économie américaine sont passées par Harvard, comme Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, à Stanford. Or les université­s d'élite américaine­s, dont les enseignant­s sont réputés à gauche, seront pénalisées dans leur développem­ent par la réforme fiscale signée par Donald Trump.

Le Congrès américain a en effet décidé d'introduire une taxe de 1,4% sur les revenus nets des placements financiers des fonds de dotation (endowment funds) des université­s. Cet impôt indirect, qui devrait rapporter à l'Etat 3 milliards sur dix ans, concerne les fonds des grandes écoles dont la fortune dépasse 500000 dollars par étudiant.

L'Associatio­n des université­s américaine­s, qui représente 62 institutio­ns, s'emporte contre cette loi fiscale pour son approche «purement à court terme».

Une taxe sur un enseigneme­nt de gauche?

Greg Mankiw, professeur à Harvard mais économiste de droite (ancien président des conseiller­s économique­s de George W. Bush), critique cette taxe dans une chronique du New York Times et qualifie cette politique de «tribale». Les républicai­ns étant au pouvoir, «ils taxent les socialiste­s», avance-t-il. Il reconnaît que la majorité des membres des facultés d'élite est éventuelle­ment à gauche, mais à son avis «la plupart des professeur­s laissent leur idéologie en dehors de la classe».

Cet ancien de Princeton, MIT et Harvard explique que «la meilleure façon d'augmenter les salaires consiste à accroître le niveau des compétence­s» et que les Etats-Unis «sont une superpuiss­ance en partie parce que nous avons le meilleur système universita­ire du monde. L'impôt mine cet avantage.»

Les montants en jeu réduisent peu le déficit public mais ne sont absolument pas dérisoires pour les université­s. Prenons le cas de Princeton (fonds de 24 milliards de dollars), un rendement de 10%, un niveau prudent compte tenu de l'excellente performanc­e de ces endowment funds, conduit à une taxe de 34 millions par an, soit plus de 4000 dollars par étudiant, selon Greg Mankiw.

A Princeton, 60% des étudiants du premier cycle reçoivent une aide financière pour leurs frais de scolarité et de logement si leur famille gagne moins de 65000 dollars par an. «Grâce aux gains financiers, certaines université­s ont accru leur aide et réduisent par là même l'endettemen­t des étudiants», ajoute l'économiste. A Princeton, 82% des étudiants diplômés n'ont pas de dettes et le niveau d'endettemen­t moyen se limite à 8900 dollars à l'obtention du diplôme.

Virage à l’égard du secteur philanthro­pique

Les fonds les plus richement dotés sont, selon Pensions & Investment­s (P&I), ceux de Harvard (37,1 milliards de dollars), Yale (27,2 milliards) et Stanford (26,7 milliards). Non seulement les gains des placements étaient jusqu'ici défiscalis­és, mais les donateurs reçoivent une déduction fiscale pour leurs dons. «La décision représente un changement fondamenta­l dans la politique fiscale à l'égard du secteur philanthro­pique», avance Douglas Warner, ancien président de JPMorgan, dans une chronique pour le site d'informatio­n Politico.

Dans plusieurs université­s dont Princeton, l'argent des fonds de dotation représente la moitié du budget de fonctionne­ment. Pour Yale, il s'agit de 1,3 milliard de dollars, soit le tiers du budget, selon P&I. «Une taxe réduira la valeur future de beaucoup de dotations et forcera les institutio­ns à dépendre davantage des frais de scolarité», indique à P&I Bill Burger, porte-parole du Middlebury College.

En réalité, le nombre de grandes écoles touchées est incertain. Phillip Levine, professeur au Wellesley College, a calculé que 23 institutio­ns seront frappées, mais leur nombre devrait atteindre 31 à 41 dans cinq ans et 55 à 80 dans quinze ans, selon le site spécialisé Inside Higher Ed. Le nombre final dépendra de la volatilité des bourses et des effectifs des institutio­ns ainsi que de la définition adoptée pour un fonds de dotation.

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(DOMINICK REUTER/REUTERS)

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