Bruxelles, la concurrence et le sport international
Peu avant Noël, la Commission européenne déclarait que certaines règles de la Fédération internationale de patinage (ISU, basée à Lausanne) ne respectaient pas le droit de la concurrence de l’Union européenne et lui demandait de les modifier dans les trois mois sous peine d’une forte amende (égale à 5% de son chiffre d’affaires mondial).
De nombreux observateurs y virent le début de la fin du sport international pyramidal tel que nous le connaissons actuellement, avec ses clubs et fédérations qui organisent des compétitions de tous niveaux – jusqu’aux Jeux olympiques – pour désigner le champion de leur discipline, la plupart des athlètes étant plus ou moins obligés d’y concourir à moins de s’exclure du système et de participer à des compétitions de seconde zone. A en croire ces augures, les fédérations se verraient à l’avenir confinées à l’élaboration (pas très lucrative) des règles sportives. Qu’en est-il exactement?
Le sport plusieurs fois rappelé à l’ordre
Tout d’abord, cette décision n’est pas surprenante car elle ne fait que rappeler la position ancienne de l’Union européenne, qui affirme que si le sport a une dimension économique – par exemple, s’il fait l’objet d’un spectacle vendu à des télédiffuseurs et sponsors, ou s’il donne lieu à des rémunérations sous forme de salaires ou de prize money – alors les règles sportives doivent respecter le droit européen de la concurrence ou de la libre circulation, dans l’Union et dans les très nombreux pays non membres qui ont des accords bilatéraux avec elle.
Ce nécessaire respect du droit européen dans le domaine sportif a été rappelé par la Cour européenne de justice dès 1974 (arrêt Walrave en cyclisme) et, plus récemment, par l’arrêt Bosman en 1995 (football), l’arrêt Meca-Medina en 2006 (dopage en natation) et l’arrêt Motoe en 2008 (motocyclisme). L’ISU peut faire appel de la décision de la Commission européenne, mais le rejet d’un éventuel appel (non suspensif) est quasi certain.
L’ISU va donc sans doute devoir changer rapidement ses règles qui imposent à des athlètes des pénalités sévères, voire une exclusion des compétitions qu’elle organise – y compris les Championnats du monde et les Jeux olympiques – pour avoir participé à des compétitions de patinage mises sur pied par des sociétés privées, ici en patinage de vitesse (piste longue et piste courte) par la société IceDerby qui organise des courses avec une forte composante de paris, notamment à Dubaï et aux Pays-Bas d’où proviennent d’ailleurs les deux athlètes qui ont porté plainte contre l’ISU.
Invoquer l’éthique ne suffira pas
Ce type d’événements commerciaux liés à des paris a été inspiré par la discipline cycliste du Keirin, très populaire au Japon, ou même par les débuts du sport moderne dans l’Angleterre du XVIIIe siècle (courses de chevaux ou courses à pied). Il faudra que l’ISU adopte de nouvelles règles qui soient jugées légitimes par rapport à son objectif de promotion du patinage, inhérentes à celui-ci et proportionnelles au cas traité, et pas seulement favorables à ses objectifs commerciaux qui profitent, jusqu’alors, d’un abus de position dominante selon les plaignants.
Il en ira de même pour toutes les fédérations qui imposeraient des sanctions ou exclusions à leurs athlètes afin de protéger leurs événements. Comment les fédérations peuvent-elles réagir? L’appel à l’éthique et aux valeurs du sport ne sera pas suffisant. Il existe, en effet, de nombreux événements ou spectacles sportifs à but lucratif, indépendants des fédérations sportives internationales – et pas des moindres – en patinage artistique (par exemple, Art on Ice), en ski (World Pro Ski Tour), en cyclisme (Tour de France), en golf (PGA Tour), en tennis (ATP Master Series), en basketball (Euroleague), en triathlon (Ironman), etc.
S’adapter pour être plus attractif
La meilleure solution pour les fédérations serait de coopérer avec les organisateurs de ces manifestations, en les intégrant par exemple à leur calendrier moyennant un émolument. Il faudrait aussi revoir le format des compétitions qu’elles contrôlent pour les rendre plus attractives. Plusieurs fédérations internationales l’ont déjà compris, par exemple celles de basketball avec le 3x3 (ex-streetball), de tir à l’arc avec sa Coupe du monde (circuit de cinq événements dans différentes villes qui changent chaque année) ou encore de tennis (avec une nouvelle formule pour la Coupe Davis).
A terme, ces évolutions devront passer par une meilleure rémunération des athlètes pour qu’ils puissent gagner décemment leur vie grâce à leur sport. Cela constituera la base d’un nouveau modèle du sport pour le XXIe siècle et d’une nouvelle forme juridique des fédérations, par exemple sous forme de coopératives d’athlètes d’une discipline donnée.
* Jean-Loup Chappelet est professeur de management public à l’Institut de hautes études en administration publique de l’Université de Lausanne