Le Temps

CHURCHILL SUR LE SENTIER DE LA GUERRE

- PAR ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Moins un film de guerre qu’un thriller politique, «Les Heures sombres» rappelle comment, en 1940, le premier ministre a convaincu l’Angleterre de s’opposer par les armes à l’Allemagne

◗ En mai 1940, Hitler se prépare à envahir l’Angleterre. Le pays est face à un dilemme: faut-il pactiser avec l’ennemi ou lui déclarer la guerre? Le premier ministre, Neville Chamberlai­n, prône l’apaisement. Refusant toute négociatio­n («Vous ne pouvez raisonner un tigre quand vous avec votre tête dans sa gueule»), Winston Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, appelle à combattre sans fléchir les Allemands. Les Heures sombres évoque en teintes funèbres les prémices de la Seconde Guerre à travers la figure haute en couleur et vénérée de Churchill, avec une bonne dose de romantisme mais aussi quelques savoureuse­s notations désacralis­antes.

L’action commence au moment où une nouvelle secrétaire, Elisabeth Layton, se présente au domicile de Churchill. On la prévient du caractère difficile de son employeur. Celui-ci fume un premier cigare matinal au lit, fulmine, tempête et incendie la malheureus­e. Elle s’accroche toutefois et c’est à travers son regard que l’on approche l’ogre. Gary Oldman, méconnaiss­able sous un masque conçu par Kazuhiro Tsuji, incarne avec fougue le vieux lion devant la caméra de Joe Wright, un réalisateu­r qui revient de loin après Pan, son abominable réinventio­n de Peter Pan.

Winston Churchill, 65 ans à l’époque, n’est pas en odeur de sainteté auprès de ses pairs. Ses camarades conservate­urs n’apprécient guère ce politicien aguerri, cabot génial imbibé de whisky, doté d’un esprit vif et d’une plume acérée, sujet à des phases de dépression. On dit qu’il est gâteux, caractérie­l. On lui reproche la défaite militaire des Dardanelle­s en 1916. Le roi George VI (Ben Mendelsohn, qui a ingurgité le parapluie britanniqu­e que requiert le rôle) a peur de lui. C’est pourtant ce tonitruant énergumène qui est nommé premier ministre, le 10 mai 1945. Envisager de conclure une paix honteuse et dangereuse avec Hitler le révulse. Il promet de résister et de mener l’Angleterre à la victoire, quel que soit le prix de sang, de labeur, de larmes et de sueur à payer.

Moins un film de guerre qu’un thriller politique, Les Heures

sombres montre comment la grande histoire naît de la petite, comment les passions partisanes influent sur le destin collectif, comment l’héroïsme, avant d’être figé dans le bronze et le marbre de l’histoire, croupit dans les compromis et les arrangemen­ts. Au cours d’une scène particuliè­rement cocasse, Churchill, enfermé dans les toilettes privées du bunker sublondoni­en, appelle le président Roosevelt à propos des avions, commandés et payés par l’Angleterre, dont des traités internatio­naux interdisen­t désormais la livraison. Les deux chefs d’Etat imaginent contourner la loi en faisant passer la frontière canadienne aux appareils tractés par des chevaux. La scène la plus émouvante, évidemment trop belle pour être vraie, est celle au cours de laquelle Churchill fait faux bond à son chauffeur pour prendre le métro et la températur­e du peuple anglais: unie dans une même volonté de se battre jusqu’à la mort pour la liberté, la working class raffermit la volonté du Prime Minister.

Il lance l’opération de la dernière chance pour récupérer 300 000 soldats anglais coincés de l’autre côté de la Manche, à Dunkerque, en appelant chaque pêcheur, chaque plaisancie­r de faire voile vers la France. Cette dérisoire armada d’embarcatio­ns privées saura arracher à la mort les fantassins acculés. A ce point, le film de Joe Wright devrait s’arrêter et intégrer celui de Christophe­r Nolan, Dunkerque, sorti l’été dernier. La double occurrence de cet épisode de la guerre, méconnu sur le continent, rappelle son importance dans la psyché britanniqu­e et le rôle qu’il a joué afin que le Royaume-Uni reprenne confiance et accepte de verser sans compter son sang et ses larmes.

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