La SSR prête à imaginer un futur sans redevance
Le pionnier de la télévision privée, animateur depuis 2011 d’une émission de débat sur la SRF, sort un livre en pleine campagne «No Billag» pour expliquer les causes et les conséquences possibles d’une suppression de la redevance
«NO BILLAG» Le directeur Gilles Marchand livre sa vision de l’audiovisuel public après «No Billag». Il envisage une réduction drastique du nombre de chaînes de télévision et de radio
Menacé dans son existence, le service public audiovisuel suisse est-il prêt à se réformer? Oui, affirme son directeur Gilles
Marchand. Avec la révolution digitale, la SSR devrait évoluer vers «un vaste portail numérique ouvert à tous, à la demande, avec des contenus originaux par thèmes et des archives que nous reproposerons». Les 24 chaînes actuelles (17 de radio et 7 de télévision) pourraient subir une réduction drastique: «A terme, j’imagine qu’il y aura moins de canaux linéaires classiques en télévision et en radio. Peut-être un par média, dans les trois grandes régions, avec des rendez-vous, notamment d’information et de sport, en direct», détaille Gilles Marchand.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Gilles Marchand ne promet pas une SSR moins chère. Mais il se dit prêt à examiner un financement différent de l’actuelle redevance et ses 451,10 francs annuels. «Il sera toujours plus compliqué d’imposer une redevance contrainte aux futures générations», constate-t-il. «Nous sommes prêts à travailler, à proposer des variantes.» A condition, évidemment, que la population réitère sa confiance à la SSR et rejette «No Billag» le 4 mars.
«Nous n’avons peut-être pas assez dialogué avec la société»
En 1998, à 53 ans, Roger Schawinski crée la première chaîne privée nationale de Suisse, Tele24. Il ouvre alors une brèche dans le monopole de la SSR, qu’il n’a eu de cesse de dénoncer durant ses jeunes années d’entrepreneur. Ses coups de boutoir contre la domination du paysage audiovisuel par le service public avaient déjà commencé en 1979 avec la création d’une station pirate, Radio 24, émettant à Zurich depuis l’Italie.
Avec ces faits d’armes, le journaliste zurichois se hisse au rang de pionnier et de plus fervent critique de la SSR. Puis soudain, il passe dans l’autre camp: en 2011, la SRF annonce le «retour du fils prodigue», avec lancement d’un talkshow portant son nom – Schawinski – non sans provoquer une volée de critiques. Même le conseiller fédéral Ueli Maurer s’en prend alors au journaliste, le traitant dans un commentaire au Blick d’opportuniste narcissique.
Une action «très peu suisse»
Roger Schawinski raconte cet épisode dans un livre*, qui sort en librairie ce samedi. Cet ouvrage, petit événement dans une campagne déjà en surchauffe, propose d’analyser comment la Suisse en est arrivée à une telle extrémité. Roger Schawinski dit l’avoir écrit dans l’urgence, en un mois, après avoir pris conscience de la possibilité d’un oui à «No Billag». Si elle passait, cette initiative – si radicale que personne, au départ, ne daignait lui accorder la moindre chance – changerait la Suisse plus profondément que n’importe quelle votation avant elle, s’alarme le Zurichois.
Consommateurs agacés par la redevance et tentés d’alléger leur budget annuel, ennemis historiques de droite qui rêvent depuis longtemps de «castrer cette foutue télévision d’Etat» ou encore éditeurs privés voyant dans cette campagne une opportunité de contester la puissance de leur concurrent: ces mouvements violents sont à même de provoquer «l’écroulement du système médiatique en une seule action radicale très peu suisse», met en garde le journaliste.
Roger Schawinski saisit l’occasion de retracer son propre parcours d’agitateur. Au vu de ce passé, avant de voler au secours de la SSR, il commence par se dédouaner de toute volatilité, précisant: «Depuis le départ, je ne mène pas un combat contre l’existence de la SSR, mais contre son monopole et pour la diversité du paysage médiatique.»
L’ancien enfant terrible n’a pas perdu sa verve. Il se montre sévère, surtout à l’égard de ses adversaires d’antan: les ex-dirigeants du service public, qui ont contribué selon lui à la montée d’une fronde contre l’institution médiatique. «La SSR aspire au pouvoir, ça fait partie de son ADN», écrit Roger Schawinski. L’attitude de chefs «arrogants, cyniques, autoritaires» et le maintient du monopole de la SSR ont fini par faire de l’institution «un géant aux pieds d’argile».
Pourtant, estime l’auteur, la SSR aurait pu esquiver la menace, si elle avait accepté l’existence d’une vraie concurrence. Roger Schawinski, sans craindre l’égotisme, se présente comme une partie de la solution manquée: «J’ai tout tenté durant des décennies pour libéraliser le paysage audiovisuel, écrit-il. Mais dans ce combat, je n’ai reçu aucun soutien, pas même de l’UDC.»
En 2001, l’entrepreneur zurichois avait fini par interrompre les émissions de Tele24 et vendu TeleZüri et Radio 24 à Tamedia pour 90 millions de francs. Il avait poursuivi sa carrière en Allemagne, auprès de la chaîne Sat.1, avant de revenir à Zurich pour lancer Radio 1. Le docteur en économie rappelle dans son livre qu’il avait fait ses premières armes à la SSR, bien avant d’y obtenir son talk-show en 2011. A l’âge de 28 ans, il avait créé l’émission à succès de la SRF Kassensturz, pendant d’A bon entendeur.
Pas de plan B
Aujourd’hui, à 72 ans, Roger Schawinski s’inquiète de l’issue de la votation du 4 mars. En cas de non, il suggère des pistes d’économies pour la SSR, qui ne pourra selon lui passer à côté d’une réforme. Il imagine une redevance à 300 francs, une solution qui permettrait de «sauver l’argenterie». Mais si le oui sortait des urnes, cela «bouleverserait le paysage médiatique à tel point qu’on ne peut même pas en esquisser les conséquences», écrit-il. L’auteur, pourtant, ne résiste pas à la tentation d’émettre un pronostic, qu’il imagine très sombre: licenciements, plans sociaux, faillite. Non, il n’y a pas selon lui de plan B face à une proposition si «extrême».
Les chaînes de TV locales, qui essuieraient elles aussi de lourdes pertes avec la fin de la redevance, n’auraient pas les moyens de combler les vides, ajoute l’ancien entrepreneur. Les acteurs étrangers, surtout allemands, seraient les plus grands bénéficiaires d’une chute de la SSR. A moins que ce ne soit une personnalité déterminée à bâtir un empire médiatique, comme Christoph Blocher. Avec la chute de la SSR, le tribun UDC «pourrait atteindre, avec la radio et la télévision, ce qu’il n’a que partiellement réussi à faire dans la presse. A part lui, je ne vois personne d’autre, en Suisse, à même de prendre le risque», souligne Roger Schawinski.
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*No Billag? Die Gründe und die Folgen (No Billag? Les raisons et les conséquences), Wörterseh, 2018.
«Un oui bouleverserait le paysage médiatique à tel point qu’on ne peut même pas en esquisser les conséquences» ROGER SCHAWINSKI