La persévérance du Dr Blocher
A 77 ans, il faut encore compter avec «papy» Blocher. Son discours-fleuve de Nouvel An – passé inaperçu en Suisse romande, mais remarqué en Suisse alémanique – le montre transformé en chroniqueur visionnaire des grandes figures de l’histoire suisse. Ses plus importants combats sont pourtant devant lui.
Le 2 janvier, devant son public d’électeurs UDC conquis, Christoph Blocher a pris date pour un rendez-vous marquant: le centenaire de la grève générale de 1918, en novembre prochain. La gauche, le Conseil fédéral et les médias voudront fêter un mouvement progressiste qui a fait naître l’Etat social, prévient-il. Sa version est bien différente: la Suisse bourgeoise qu’il incarne a empêché, par la force, un putsch visant à «soviétiser» le pays.
A ce stade, la querelle historique est moins intéressante que ce que ce discours dit du nouveau Blocher. Il n’est plus – depuis longtemps – dans la politique politicienne. Il s’occupe du destin du pays. S’il le pouvait, il deviendrait historien, a-t-il déclaré. Entre les lignes, il s’affirme plus que jamais comme le rempart d’une société traditionnelle menacée par les utopistes de tous bords – qu’ils soient de gauche ou pro-européens. Dans une posture churchillienne, il promet qu’il ne «capitulera jamais».
Radotage d’une figure vieillissante, qui appartient au passé? Loin de là. D’une certaine façon, l’influence de Christoph Blocher n’a jamais été aussi grande. Il n’a jamais été aussi riche. En l’absence de rivaux à sa mesure, sa force d’attraction sur l’ensemble de la droite alémanique est inégalée. En témoigne la droitisation du PDC, ou la lente migration d’un titre libéral comme la Neue Zürcher Zeitung vers le blochérisme soft.
Dans la constellation du populisme occidental, Christoph Blocher apparaît comme un phénomène unique. D’abord par sa longévité. Il est la figure dominante de la politique suisse depuis 1992. D’autres passent, lui reste. Ensuite, son nouveau style de sage et d’érudit le distingue de plus en plus des populistes étrangers. Les bouffonneries de Trump, le radicalisme peroxydé de Geert Wilders, le néonazisme latent du FPÖ autrichien lui sont étrangers. Il cultive à l’inverse son allure de paysan matois, d’autant plus facilement sous-estimé qu’il se cache sous une bonhomie rustique.
Tout cela n’est pas une bonne nouvelle pour le Conseil fédéral. Ces prochains mois, le collège va devoir croiser le fer avec Christoph Blocher sur deux sujets cruciaux: l’initiative UDC pour la primauté du droit suisse sur le droit international, et la votation sur un nouvel accord-cadre avec l’Union européenne. Le milliardaire zurichois s’engagera dans ces combats avec une âpreté existentielle. On verra alors si sa posture de père de la nation est à même d’entraîner derrière lui une majorité de Suisses.
Son influence n’a jamais été aussi grande