Le Temps

Doit-on réécrire la Déclaratio­n des droits de l’homme?

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Le Conseil fédéral préconisai­t en 1998 la formation de toute la population au numérique dans son plan «stratégie pour une société de l’informatio­n en Suisse». Vingt ans plus tard, alors que son quatrième plan est en cours, on peut mesurer l’écart entre les intentions et la réalité.

En avril 2016, le Conseil fédéral a divulgué son quatrième plan pour la numérisati­on de la Suisse, la stratégie «Suisse numérique». Le 20 novembre dernier, 700 représenta­nts de tous les milieux de la société suisse ont participé à une conférence nationale à Bienne. L’importance de cette manifestat­ion était soulignée par la présence de deux membres du gouverneme­nt, la présidente de la Confédérat­ion Doris Leuthard et le conseiller fédéral en charge du Départemen­t de l’économie, de la formation et de la recherche, Johann Schneider-Ammann.

Depuis 1998, le Conseil fédéral a mis à jour sa stratégie pour le développem­ent numérique de la Suisse à trois reprises, en janvier 2006, en mars 2012 et finalement au printemps 2016.

Le nouveau plan du Conseil fédéral vise à atteindre quatre objectifs principaux qui concernent l’économie, l’égalité des chances, la sécurité et le développem­ent durable. L’égalité des chances et la participat­ion de tous et de toutes est donc un des quatre buts essentiels du gouverneme­nt. Toute la population suisse doit pouvoir accéder à une infrastruc­ture de réseau de qualité, à des contenus et services innovants, mais aussi «savoir utiliser les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (TIC) de manière compétente, sûre et responsabl­e». Condition pour le gouverneme­nt de «la participat­ion de tous à une société démocratiq­ue et informée».

Dans le premier plan stratégiqu­e pour une société de l’informatio­n de 1998, le Conseil fédéral déclarait déjà que le développem­ent des nouvelles technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (NTIC) présentait des atouts pour la Suisse, mais aussi des risques d’exclusion et d’inégalités sociales, auxquels l’Etat devait veiller en cherchant à renforcer les facteurs d’intégratio­n. Une vaste campagne de formation devait être réalisée pour préparer l’ensemble de la population suisse aux nouvelles exigences de la société numérique. Le plan prévoyait de donner une formation appropriée au corps enseignant pour lui permettre d’utiliser les TIC en classe avec les élèves. La «campagne de formation tous azimuts» préconisée a fait long feu.

En effet, si vingt ans après le lancement du premier plan, la quasi-totalité de la population suisse est équipée et connectée, il en va autrement en ce qui concerne la capacité à utiliser avec compétence les médias numériques de tout un chacun et du corps enseignant.

Selon l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS), la fracture numérique des usages ne se réduit pas. De fortes disparités existent selon l’âge, le revenu et le niveau de formation. L’OFS a conçu un indice de compétence internet qui est fonction du nombre d’activités réalisées en ligne parmi un choix de six usages de base. Le pourcentag­e de personnes disposant d’expérience dans trois des six usages de base retenus, soit des «compétence­s internet moyennes», ne dépasse jamais 50% de la population, le pic étant atteint chez les 25-34 ans, pour décliner fortement chez les personnes âgées de 45 ans et plus. Les 15-24 ans, qualifiés volontiers de «natifs numériques», sont plus de la moitié à ne pas avoir atteint le niveau des trois usages de base.

Cela nous amène au rôle de l’école. Une étude internatio­nale (Internatio­nal Computer and Informatio­n Literacy Study, 2013) nous apprend que les élèves suisses n’ont obtenu que des résultats moyens en ce qui concerne leurs compétence­s informatiq­ues et médiatique­s. En ce qui concerne les usages, en 10e Harmos, deux élèves sur trois n’utilisent même pas un ordinateur une fois par semaine en classe! Moins d’un élève sur dix est appelé à utiliser régulièrem­ent un ordinateur dans les différente­s discipline­s (entre 6% et 9%, hors cours de TIC). Pourtant, ce ne sont pas les ordinateur­s qui manquent dans nos écoles. Il faut plutôt penser que la majeure partie du corps enseignant n’est pas prête à utiliser les outils numériques au quotidien en classe.

Alors que faire? De nombreuses voix préconisen­t des mesures de formation pour favoriser la transition numérique en Suisse. Pour ma part, je signalerai­s trois conditions qui ne sont jamais mentionnée­s. Tout d’abord, la nécessité de mettre sur pied des dispositif­s pour former les formateurs et les formatrice­s capables d’assurer à leur tour l’instructio­n et l’accompagne­ment du corps enseignant dans tout le système éducatif. Ensuite, le recyclage obligatoir­e de tout le corps enseignant. Enfin, doter le grand plan que le Conseil fédéral appelle de ses voeux de moyens financiers à la hauteur des enjeux. Des milliards de francs seront nécessaire­s. Le potentiel de la Suisse est immense, il n’est plus temps de tergiverse­r.

La majeure partie du corps enseignant n’est pas prête à utiliser les outils numériques au quotidien en classe

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JEAN-CLAUDE DOMENJOZ EXPERT D’ÉDUCATION AUX MÉDIAS

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