Les scénaristes, nouveaux maîtres de nos imaginaires
Les amateurs de séries TV ne semblent pas prendre la mesure de l’enjeu économique que représente leur passion. Cette année, rien qu’aux Etats-Unis, plus de 500 saisons de séries renouvelées ou inédites seront produites. Il y aura au moins 40 nouvelles productions par rapport à l’an passé – l’estimation est prudente. Cette année aussi, pour ses productions propres dont une écrasante part de séries, Netflix dépensera 6 milliards de dollars. Plus de trois fois le budget total de la SSR, si discuté durant cette campagne «No Billag».
Toujours outre-Atlantique, Hulu et Amazon accroîtront leurs investissements. Apple préparera son offensive en matière de feuilletons, avec une enveloppe d’un milliard de dollars, l’équivalent de 200 longs-métrages de cinéma en Suisse. Le volume de fictions TV augmentera en France, en Allemagne de même qu’en Asie ou en Amérique du Sud.
La fiction audiovisuelle par épisodes devient un art populaire majeur, et tout indique que la surchauffe va durer. Parce que la clientèle ouvre son porte-monnaie et s’abonne, ce qui est le but visé.
Dans cette mêlée mondiale, il est un frêle personnage, courbé sur son clavier devant son mur quadrillé de post-it, bougonnant à cause du manque de temps imparti, qui monte en puissance: le scénariste. La fringale globale – notre fringale – pour les feuilletons met en lumière le rôle de ce raconteur d’histoires, qu’il soit créateur ou adaptateur de romans. Depuis vingt ans, la qualité générale des séries augmente, et ce n’est pas seulement une question de budget. La progression des auteurs a pesé dans cette évolution.
Historiquement, les séries TV relèvent de la littérature, pas du cinéma. Dominante en Europe, leur assimilation aux mécanismes de production du cinéma, avec une prédominance du réalisateur dans le dispositif, a souvent conduit à des désastres artistiques. Ces dernières années, par imitation des précurseurs danois, des chaînes européennes (dont la RTS) ont enfin décidé de bousculer leurs pratiques et d’accorder, à des degrés divers, une place plus importante aux auteurs – les vrais: les scénaristes. Sans copier les Américains, dont le système reste particulier en raison de son volume de production, les Européens, notamment les Suisses, expérimentent de nouvelles manières de fabriquer ces séries si populaires.
Les années à venir vont être passionnantes. Le corset appliqué jusqu’ici à la narration audiovisuelle craque enfin. La série, quel que soit son vecteur, devient un défi narratif autant qu’économique – et cette fois, ces dimensions se stimulent plutôt qu’elles ne se combattent. Au sein de l’usine du divertissement que nous plébiscitons par le temps que nous lui accordons, le scénariste va devenir, par l’imaginaire, un nouveau maître du monde. Mais le monde ne le sait pas encore.
Historiquement, les séries TV relèvent de la littérature, pas du cinéma