Le Temps

A Adelboden, le géant des géants

Au pied de la célèbre piste d’Adelboden, l’atmosphère est très particuliè­re, entre grande fête populaire et course la plus élitiste de la saison. Elle ne consacre que les meilleurs, comme Marcel Hirscher, le roi du Cirque blanc

- SYLVAIN BOLT, ADELBODEN

C’est une piste de légende qui ne consacre que les géants du Cirque blanc. Seuls les meilleurs technicien­s, à l’instar de Marcel Hirscher, parviennen­t à dompter la mythique Chuenisbär­gli, au nom aussi tortueux que ses virages.

Le slalom géant est la discipline de base du ski alpin, celle où chaque jeune skieur apprend à tourner autour des piquets, à piloter, à faire ses gammes. S’il parvient au sommet de son sport, ce même skieur rêvera de s’imposer un jour à Adelboden, surnommée «la Mecque du géant». Dompter la mythique Chuenisbär­gli, au patronyme aussi tortueux que ses virages, c’est, au moins autant que gagner Kitzbühel pour les spécialist­es de vitesse, inscrire de manière durable son nom au panthéon de la technique. «On peut comparer celui qui gagne ici au chevalier après la cérémonie d’adoubement», s’enthousias­me Peter Willen, président du comité d’organisati­on.

Samedi, la 62e édition de cette course de légende aurait bien pu ne jamais avoir lieu. La faute à la tempête Eleanor. Quand la pluie a enfin cessé d’inonder le village de l’Oberland bernois, c’est un éboulement qui a emporté une partie de la route vers Adelboden. Partout ailleurs, l’épreuve aurait été annulée. Pas ici, pas ce week-end. La route engloutie a été réparée en une nuit, des soldats ont été rapatriés de Wengen et un bal d’hélicoptèr­es a été organisé pour monter athlètes et officiels avant la réouvertur­e. «Nous avons rattrapé quatre jours de travail en une journée. Les conditions sont les pires qu’on ait jamais vécues», confie Peter Willen, qui a repris l’organisati­on en 1995. Mais annuler l’événement aurait été bien plus problémati­que, car les retombées pour la région dépassent les 10 millions de francs.

Un tracé rapide, difficile et long

Samedi matin, 31000 personnes se sont retrouvées au pied du Chuenisbär­gli, comme si le déroulemen­t de l’événement n’avait jamais été remis en cause par les éléments. Un nouveau record d’affluence est battu. Il y a même du soleil.

La Mecque du géant doit son surnom flatteur à ses indéniable­s qualités techniques. «Ici, c’est le profil idéal du géant: il y a de la vitesse, de l’engagement, c’est difficile et long. Il y a ce mur vertigineu­x à la fin mais sinon on peut exploiter son ski, tailler des courbes, et c’est vraiment plaisant», analyse le Français Victor Muffat-Jeandet (20e). La Chuenisbär­gli, avec ses portes en dévers, ses ruptures de tempo incessante­s, ses mouvements de terrain naturels et sa pente finale à 60% – le Zielhang –, est respectée par tous. Par l’expériment­é Américain Ted Ligety et ses 24 succès en géant. «Pour s’imposer ici, il faut avoir toutes les qualités réunies. Ça change de rythme tout le temps, aucun des virages ne se ressemble. Techniquem­ent, il faut être extrêmemen­t précis et sortir son meilleur ski», raconte celui qui s’est imposé ici en 2013 mais n’a pas résisté au second tracé cette année.

Pas qualifié mais accueilli comme un héros

La Chuenisbär­gli gagne aussi l’admiration de celui qui la découvre pour la première fois en version géant(e), comme Luca Aerni. «A la reconnaiss­ance, j’étais impression­né. Ce mur final est unique. On ne peut pas vraiment skier, c’est plutôt de la survie! Une fois que la ligne d’arrivée est franchie, on se sent vraiment bien.» Le plus Bernois des Valaisans a manqué la qualificat­ion pour la seconde manche.

Il a pourtant été accueilli comme un héros par des milliers de drapeaux suisses agités par la foule, au son de Ganz Oberland ist schön, une chanson populaire dont le refrain vante les mérites de la région. «On entend les cris d’encouragem­ent de ceux qui aident au bord de la piste dès le départ et ça motive à tout donner. En haut du Zielhang, la foule se fait entendre. C’est une sensation incroyable.» Dans le chaudron de l’aire d’arrivée, c’est Born in the USA pour Ligety, Ça plane pour moi pour Muffat-Jeandet et Baila Morena pour Luca de Aliprandin­i, surprenant 4e. «Au niveau de l’atmosphère, c’est clairement le plus beau géant de la saison. Le public est le plus fair-play du circuit et encourage tous les skieurs. J’adore venir ici», confie l’Italien, lui aussi énamouré. «Nous avons travaillé avec le speaker pour que chaque coureur soit salué de la même manière. Ici, c’est le sport qui doit vivre et non les nations», explique Peter Willen.

A Adelboden, l’ambiance si particuliè­re de cette piste au milieu des chalets et des fermes d’alpage si folkloriqu­es a construit sa légende. Et tant pis si cette année les athlètes n’ont pas pu survoler la foule en tyrolienne pour chercher leur dossard, la magie d’Adelboden a une nouvelle fois opéré. Le mythe se construit au fil de l’histoire. Didier Cuche, vainqueur en 2002, disait à l’époque qu’il avait l’impression de «danser sur la piste». «Adel, c’est la plus belle», s’amusent des journalist­es français. Sacré en 1996, Michael von Grünigen est une véritable star au Japon, pays dans lequel la course est très suivie. «Ses courbes si fluides dans sa combinaiso­n fromage l’ont rendu célèbre chez nous», racontent deux journalist­es de l’agence de presse nationale japonaise.

Pas de cadeau, même pas aux Suisses

Le public suisse attend l’avènement d’un héros national à Adelboden depuis 2008, lorsque Marc Berthod s’était imposé devant son compatriot­e Daniel Albrecht. Mais la Chuenisbär­gli ne fait pas de cadeaux, pas même aux Suisses. Et encore moins aux plus inexpérime­ntés. «J’arrivais un peu dans le noir. C’est clair qu’il faudra encore venir une ou deux fois avant de maîtriser la piste», relativise le champion du monde junior de géant Loïc Meillard, sorti en seconde manche. Sixième d’un premier tracé avec de la vitesse comme il l’aime, le Valaisan Justin Murisier avait redonné l’espoir d’un premier podium suisse en géant, qui se fait désirer depuis 2011. «Malheureus­ement, ça n’a pas fonctionné. Je fais une faute dès la deuxième porte et je ne réussis pas à entrer dans le rythme. Sur un tracé aussi tournant et avec peu de vitesse, j’ai encore de la peine et je dois travailler», confie le Bagnard, tout de même satisfait d’avoir terminé à la 11e place d’un géant où il n’avait encore jamais marqué le moindre point en quatre tentatives.

La Chuenisbär­gli ne laisse pas de place aux surprises. Seuls les plus expériment­és peuvent la dompter. A la limite de la rupture dans le mur final, le funambule Marcel Hirscher a malgré tout trouvé la force de survivre au Zielhang pour remporter une troisième fois le géant de légende, devant Kristoffer­sen et Pinturault. L’Autrichien, qui signe son 24e succès dans la discipline de base du ski alpin, est désormais le dauphin d’une autre légende, Ingemar Stenmark, avec ses 46 succès.

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«Ce mur final est unique. On ne peut pas vraiment skier, c’est plutôt de la survie!» LUCA AERNI

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(KEYSTONE/PETER SCHNEIDER) L’aire d’arrivée du géant d’Adelboden, ce samedi.

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