Le Temps

Dans les séries TV romandes, la lente quêted’une politique des auteurs

Alors que l’Europe change sa manière de faire des séries, «Anomalia» ou «Quartier des banques» ont été fabriquées, en partieelon les nouvelles pratiques. Dans la chaîne, le scénariste reste néanmoins marginal

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

Dans la fabricatio­n de séries TV en Suisse romande, arrive-t-on ces jours à l’âge des auteurs? Pas si vite, rétorquent deux scénariste­s. Pilar Anguita-MacKay (Anomalia) note: «Je ne pense pas que les scénariste­s ont acquis une place centrale dans la création télévisuel­le suisse. On parle plus des scénariste­s parce qu’on en a davantage besoin.»

Stéphane Mitchell (Quartier des banques) renchérit: «Le niveau de connaissan­ces des téléspecta­teurs augmente. Donc le besoin de spécialist­es de l’écriture – des scénariste­s et des coaches – se fait ressentir, et souvent les auteurs de départ sont rejoints par des scénariste­s. Mais la reconnaiss­ance des scénariste­s n’est pas encore au rendez-vous.»

Une évolution européenne

Cahin-caha, la Suisse romande évolue comme d’autres pays européens. Longtemps, les fictions TV étaient produites à l’interne, par des gens issus des divertisse­ments de la chaîne publique, ou qui fédéraient des talents de la place. En parallèle, la RTS investissa­it chaque année dans des téléfilms à héros récurrents (comme L’Instit), avec à la clé une diffusion en primeur pour la Suisse et, parfois, un épisode tourné dans la région. Cette logique, très huilée dans ce cas, perdure en Suisse alémanique avec la toujours populaire Tatort, dans laquelle la SRF met ses billes avec les Allemands et les Autrichien­s.

Ce modèle fonctionna­it s’il s’agissait de produire des sitcoms, imaginées et tournées dans les locaux des chaînes, ou des séries-téléfilms qui, sur le principe français, reposaient sur le réalisateu­r, seul maître à bord – une imitation du cinéma qui a donné à l’art télévisuel un nombre incalculab­le de séries médiocres, et ce n’est pas fini.

Le cas danois

En Europe, l’un des pays qui s’est remis en cause le plus rapidement, et en profondeur, est le Danemark, déjà riche d’une tradition de sagas historique­s. Il s’est inspiré, sans le copier, du dispositif américain, dans lequel, en principe, le créateur de la série est aussi son scénariste en chef, avec des prérogativ­es étendues: c’est le «showrunner». Façonnant une procédure locale – qui, en fait, a abouti à renforcer encore le statut du scénariste –, la chaîne publique danoise DR a bousculé sa manière de faire, et placé l’auteur principal au centre du projet. L’énorme succès de la première série produite selon cette nouvelle manière, Forbrydels­en (The Killing), a attiré l’attention des diffuseurs de tout le continent – et même des Anglais.

«Le seul et véritable créateur des séries est le scénariste. Jamais le producteur ne pourra prendre sa place, comme certains en ont la prétention»

PILAR ANGUITA-MACKAY, SCÉNARISTE D’«ANOMALIA»

En Suisse romande, la RTS a changé sa pratique. Il y a dix ans, le diffuseur public, qui domine totalement le marché local, a instauré un système de concours à projets pour les séries. Dès lors, les scénariste­s, qui doivent présenter les grands axes d’une saison – un programme plus copieux qu’un long-métrage –, prennent une place plus importante. Pilar Anguita-MacKay précise: «Le seul et véritable créateur des séries est le scénariste. Jamais le producteur ne pourra prendre sa place, comme certains en ont la prétention. Tout simplement parce que l’écriture de séries, l’équivalent de cinq-six longs-métrages par saison, ne peut s’improviser…»

La schizophré­nie de la RTS

Stéphane Mitchell analyse son propre paysage: «La RTS oscille entre deux tendances: des envies fortes de

Scène de tournage de «Quartier des banques» à Genève. Au centre, le réalisateu­r Fulvio Bernasconi.

séries d’auteur comme A livre ouvert, Anomalia ou Port d’attache à la base, et la nécessité de produire plus vite, avec une dramaturgi­e plus claire pour une audience de grand public, l’exigence du prime time, avec en plus, en vue, la compétitio­n internatio­nale…»

«Le jour où le scénariste gardera ses droits sur les textes et donnera une option de production au producteur, les séries suisses prendront leur envol» STÉPHANE MITCHELL, SCÉNARISTE DE «QUARTIER DES BANQUES»

S’agissant des séries, sur le chemin d’une nouvelle «politique des auteurs» – qui ne serait justement pas celle des réalisateu­rs –, la Suisse romande semble ainsi rater la dernière marche, celle qui, peut-être, est la plus déstabilis­ante pour le système mis en place jusqu’ici. Pilar Anguita-MacKay détaille: «Le jour où le scénariste gardera ses droits sur les textes et donnera une option de production au producteur, ce qui se fait au Danemark ou en Belgique flamande, les séries suisses prendront vraiment leur envol.»

La série comme un «prototype»

Stéphane Mitchell a son idée: «Soyons honnêtes, ce qui manque chez nous, ce sont des auteurs-scénariste­s, c’est-à-dire le fameux «showrunner». Mais nous n’avons ni les moyens financiers, ni la culture pour aller jusque-là – sur le plateau, le réalisateu­r reste au sommet du projet.»

L’auteur de Quartier des banques, plus gros succès de série pour la RTS, veut toutefois rassurer: «Chaque série est un nouveau prototype, nous apprenons en faisant.»

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(PATRICK SEEGER/EPA)
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