Le Temps

Fin d’une époque, La Librairie à Morges tourne la page

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

LITTÉRATUR­E Dernière ville vaudoise à n’avoir connu que des librairies indépendan­tes, Morges accueiller­a un magasin Payot dès samedi prochain, à la place de son emblématiq­ue enseigne locale

Sylviane Friederich, décorée par la municipali­té morgienne pour le rayonnemen­t culturel qu’elle amenait à la ville, dit que c’est «par respect» que Pascal Vandenberg­he, le directeur général de Payot, avait scellé le pacte de ne jamais ouvrir l’une de ses enseignes à Morges tant qu’elle et La Librairie existaient. Lui parle d’amitié, elle de déontologi­e. Mais après quarante ans de vie de libraire et trois génération­s de lecteurs morgiens accueillis entre ses rayonnages, Sylviane Friederich souhaitait prendre sa retraite et a elle-même proposé à Payot d’en profiter pour enfin s’installer en ville.

«Je tenais une librairie à l’ancienne, préférant la diversité aux best-sellers. J’avais une pratique de la vente devenue un peu obsolète dans ce monde de concurrenc­e et de vitesse, mais je ne voulais pas en changer, avoue-telle. J’avais du plaisir à partager mes coups de coeur et mes engouement­s avec mes lecteurs, je voulais que ce lieu soit propice à l’échange et j’aimais que le temps s’y arrête.» Un esprit libre remplacé dès ce mois-ci par le géant vert du livre romand, qui affiche chaque semaine ses «10 meilleures ventes». «On a sauvé une librairie à Morges, préfère penser Sylviane Friederich. Alors que domine la vente en ligne, Payot et moi faisons le même métier.»

«L’Esthétique de la résistance»

La semaine dernière, première de l’an nouveau, Sylviane Friederich a effectué le dernier inventaire de ses stocks de livres. Empilés sur des palettes, ils ont été chargés sur un camion venu les chercher. Payot a tout racheté. Les deux libraires travaillan­t en poste fixe à La Librairie iront travailler pour la nouvelle enseigne, un soulagemen­t et une reconnaiss­ance pour leur ex-patronne. «Le soir, après que le chargement fut parti, je me suis retournée et tout était vide. Quarante ans de traces de vie, de traces de mes lectures, de traces de mon métier avaient disparu. J’ai eu une belle vie, faite de rencontres et d’amitié. Il y a eu des moments durs et je vivais à flux tendu, mais je ne regrette rien.» Sylviane Friederich se réjouit désormais de ne plus avoir à subir «la tyrannie des nouveautés». Elle lira tout ce pour quoi le temps lui a manqué et commencera par L’Esthétique de la résistance, de Peter Weiss, un ouvrage daté 1975.

Quant à Pascal Vandenberg­he, il ouvrira samedi son espace morgien de 200 m2, donnant sur la Grand-Rue piétonne, profitant de la surface laissée libre par la chaîne de magasins de vêtements Yendi, qui a fait faillite. A deux pas de l’ancienne Librairie, ce sera la douzième adresse du groupe, la sixième dans le canton. Gardera-t-il quelque chose de l’esprit ancien? «Non, pas vraiment, je ne crois pas aux formules hybrides. Sylviane Friederich avait une identité forte, nous en avons une aussi et un concept de magasin bien précis. Cela aurait été superficie­l.»

Rappelons encore que le patron de Payot avait quitté le comité de l’associatio­n du Livre sur les quais en 2015, avec pour conséquenc­e de priver complèteme­nt la manifestat­ion du soutien logistique et organisati­onnel de Payot Librairie.

De retour à Morges, Pascal Vandenberg­he n’envisage pour autant pas de relancer sa coopératio­n avec la manifestat­ion culturelle annuelle. «Je n’ai pas la volonté de me réconcilie­r avec le comité tant qu’il n’aura pas amorcé de changement­s.» En 2010, il avait fondé ce salon littéraire avec, entre autres, Sylviane Friederich.

«Je voulais que ce lieu soit propice à l’échange et j’aimais que le temps s’y arrête» SYLVIANE FRIEDERICH, LIBRAIRE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland