L’Autre, cet extraterrestre
La science-fiction, depuis La Guerre des mondes […], a inventé de nombreux extraterrestres pour métaphoriser la relation que nous entretenons avec l’Autre: l’alien, dans la fiction, pense différemment, agit différemment, vient nous interroger sur nos déviances et nous remet en cause par son existence même. […] Il vient métaphoriser une réalité anthropologique – voir la perception humiliante de la communauté noire lors de l’apartheid […] – et induire un questionnement critique sur ceux qui ont rejeté ces extraterrestres, en l’occurrence nous.
[…] Nos interactions quotidiennes ne sont pas si loin de ce que nous pourrions vivre face à un extraterrestre. […] L’Autre, cet Inconnu rencontré tous les jours dans le train, le métro ou dans une file d’attente, le percevons-nous comme un être humain dans lequel nous nous reconnaissons ou comme un extraterrestre dont l’apparence et les comportements sont menaçants […]? Cherchons-nous à nous rapprocher de lui […] ou préférons-nous nous en distancier, angoissés par les périls que nous avons l’impression de discerner dans ses attitudes? Evidemment, me direz-vous, cela dépend… de l’autre! Mais si ce n’était pas le cas? Si l’autre était d’abord le reflet de nos sensibilités, l’image de nos trésors et de nos insuffisances? Autrement dit, si nous acceptions l’extraterrestre […] comme une métaphore, ne pourrions-nous pas garder un peu de cette métaphore dans nos rapports à autrui?
Pour une métaphore de l’allégresse
[…] Nous vivons assurément un temps où l’Autre se voit fréquemment réduit à un danger potentiel: migrants, étrangers, harceleurs de rue, etc. […] Toutefois, et comme le démontre un article du Temps paru le 4 janvier 2018, cette réduction est problématique, car elle fait fi de nombreux facteurs et […] a pour effet pervers de construire l’image d’une altérité nécessairement néfaste […]. Or les métaphores ont la propriété de pouvoir changer de sens (d’être «remotivées»): l’Autre n’est pas nécessairement la métaphore du danger, il peut aussi être la métaphore de l’allégresse ou de la découverte de soi, par exemple. […]
N’aurions-nous pas meilleur temps de nous rappeler tous ces gestes d’amour […] inconscients qui démontrent à quel point l’humanité partage […] quelque chose qui nous unit toutes et tous, au-delà de nos différences? […] Nous pourrions alors préférer choisir que l’Autre soit perçu d’abord comme une chance, et non comme un péril. L’extraterrestre est un outil critique visant notre relation à l’autrui: essayons donc de l’utiliser pour mettre fin à l’indifférence, c’est-à-dire à une haine inavouée de l’autre. […] Ce n’est pas parce qu’il existe quelques individus dont les noirceurs cachent les lumières que tous les Autres doivent être rangés dans la même catégorie! Ce n’est pas parce que certains extraterrestres sont belliqueux (dans la tête des écrivains qui exploitent ce filon) que tous le sont par essence…