Le Temps

MiFID II: tout ce que les épargnants doivent savoir

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

La directive européenne entrée en vigueur cette année veut protéger les épargnants, améliorer l’exécution des transactio­ns et donner un prix à la recherche. Mais en quoi les clients sont-ils réellement touchés?

La directive européenne sur les instrument­s financiers MiFID II est entrée en vigueur au début janvier 2018 dans l’EEE. Onze des 28 Etats membres n’ont toutefois pas encore traduit la directive dans leur droit national. Cela n’empêche pas un épargnant de l’un de ces pays retardatai­res de pouvoir porter plainte dès maintenant.

En Suisse, MiFID II se traduira par l’élaboratio­n de la loi sur les services financiers (LSFin) qui devrait entrer en vigueur en 2019. «Dès aujourd’hui un client enregistré en Suisse domicilié dans l’EEE qui effectue une transactio­n est soumis aux règles de protection des investisse­urs selon MiFID II», explique Philipp Hartmann, responsabl­e de la surveillan­ce réglementa­ire et de la mise en oeuvre au sein de Credit Suisse.

La nouvelle directive européenne promet de renforcer la protection des consommate­urs et d’améliorer la transparen­ce des marchés financiers européens (les Etats-Unis ont pris des mesures proches mais pas tout à fait identiques). Le coût d’adaptation des banques atteint 2,5 milliards d’euros. Quel en sera l’impact sur les épargnants?

Forte augmentati­on des documents

«Le client constatera les effets de MiFID II par une multiplica­tion de nouveaux documents que les gérants en contact direct avec la clientèle sont tenus de fournir», explique Philipp Hartmann. L’épargnant obtient une informatio­n sur les changement­s réglementa­ires (client informatio­n booklet) et les modificati­ons des conditions générales.

Le deuxième changement perceptibl­e concerne la classifica­tion du client. «Même un investisse­ur fortuné disposant par exemple de 5 millions de francs sera classé retail («grand public») selon MiFID II. Il se distinguer­a en effet du client «profession­nel». Il en résulte un besoin d’informatio­n pour le gérant. La classifica­tion aura également des implicatio­ns sur les produits qui seront disponible­s pour l’investisse­ur compte tenu de sa capacité et de son profil de risque.

Si le conseiller à la clientèle propose cinq transactio­ns à l’épargnant, chacune devra être présentée dans un document détaillé au client (KID) qui exposera les risques, les scénarios possibles et les coûts ainsi qu’une autre informatio­n sur les coûts et frais. Pour chaque transactio­n, le conseil au client sera écrit dans un protocole. La banque présentera ensuite une étude sur l’adaptation à son profil de risque.

En cas de baisse de 10% de son portefeuil­le, le gérant doit informer le client. Enfin, un rapport trimestrie­l sur l’état du portefeuil­le sera envoyé et un rapport annuel sur les coûts et frais des transactio­ns des produits.

La recherche aura un prix

MiFID II change notamment le mode de paiement de la recherche (analyse financière, stratégie, recommanda­tions de titres). Elle met fin aux pratiques qui consistaie­nt pour les banques à financer la recherche achetée à l’extérieur, par exemple aux courtiers (brokers) à travers les ordres de bourse transmis aux brokers sur la base de ces recherches. Dorénavant, la directive exige la transparen­ce totale. «MiFID II bouleverse les règles», déclare Jean Niklas, responsabl­e des actions auprès de la BCV. Dès maintenant, on sépare la recherche et l’exécution des transactio­ns (unbundling). La banque (ou le gérant de fonds) doit identifier le coût du service de recherche extérieur et en répercuter le coût sur son budget ou celui de l’épargnant tandis que le courtier facture séparément le coût de la transactio­n, explique Jean Niklas. Le prix de la recherche doit maintenant être détaillé.

La facture distinguer­a entre les services, qu’il s’agisse d’études d’analystes financiers, de conférence pour investisse­urs ou de discussion avec un analyste. «En ce qui concerne la recherche, MiFID II représente un changement pour nous, une profonde transforma­tion pour le broker mais a priori cet aspect spécifique de MiFID n’aura pas ou peu d’impact direct pour le client», résume Jean Niklas.

«La banque doit allouer le coût de la recherche précisémen­t. Qui utilise quel service et à quelle fin?» poursuit Jean Niklas. Le coût de la recherche est ainsi alloué soit sur des produits d’investisse­ment qui en ont besoin soit sur le compte de la banque. La BCV n’utilisera pas moins de recherche, assure-t-il.

5000 dollars de l’heure pour une star

Les banques et gérants de fonds devraient être de plus en plus sélectifs dans leurs achats de services d’analyse. En actions suisses, les plus connus au sein des banques sont ceux de Vontobel et de la Banque Cantonale de Zurich. Les courtiers indépendan­ts les plus connus ici sont Baader Helvea et Kepler Cheuvreux. Jean Niklas estime qu’une conséquenc­e possible de MiFID II pourrait être une diminution du suivi de certaines petites capitalisa­tions, et du coup une occasion de créer de la valeur pour les gestions dites actives.

Selon une enquête du site spécialisé IPE sur 120 gérants de fonds, seuls deux ont l’intention de présenter un compte pour la recherche à leurs clients, Fidelity et Metzler, les autres prévoyant d’absorber les coûts.

IPE estime que les gérants pourront réduire de 35 à 55% des 3,5 milliards d’euros que coûte la recherche, McKinsey parle de 30%. Mais il faut savoir que si la recherche macroécono­mique pourrait devenir gratuite, une heure de discussion avec une star de l’analyse pourrait bientôt coûter 5000 dollars. Selon une étude de Barclays, une offre «premium» pour un service illimité sur une année pourrait coûter 350000 dollars.

La directive MiFID II améliore aussi la transparen­ce de l’exécution des ordres de bourse sur toutes les classes d’actifs à l’exception des changes au comptant, indique Fabien Brügger, responsabl­e de l’exécution bourse auprès de la BCV. La directive apporte de la transparen­ce dans le sens où les acteurs sont amenés à publier ce qui est traité et sur quelle plateforme de négoce. Auparavant, les obligation­s étaient par exemple l’objet de transactio­ns de gré à gré. Il n’était pas possible de connaître le volume de transactio­ns. Dorénavant, les transactio­ns devront être réalisées (ou reportées) sur des plateforme­s de négoce enregistré­es (venues en anglais). «Nous verrons les prix, les volumes et nous pourrons montrer plus facilement que nous avons effectué une transactio­n au meilleur prix», explique Fabien Brügger. Ce principe sera appliqué également pour les ETF (auparavant les trois quarts des transactio­ns sur les ETF n’étaient pas publiées, elles étaient traitées de gré à gré).

Cette transparen­ce dans l’exécution s’accompagne également d’une augmentati­on du nombre de plateforme­s de négoce – les ordres seront en effet répartis entre une multitude de venues, d’une complexité accrue et d’une forte augmentati­on du nombre de rapports (reporting). Le coût de l’exécution ne diminue pas, conclut Fabien Brügger.

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Un document détaillé (KID) devra exposer les risques, les scénarios possibles et les coûts de chaque investisse­ment

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