Le Temps

Ignazio Cassis doit enfin clarifier sa position sur l’Europe

- FRANÇOIS NORDMANN

Soyons sérieux: il faudra bien plus de cent jours au conseiller fédéral Ignazio Cassis pour maîtriser tous les dossiers de la politique étrangère. Qu’il s’agisse de la situation stratégiqu­e de la Suisse dans le conflit ukrainien et face aux grandes puissances, de la politique à mener au Moyen-Orient en pleine recomposit­ion, des bouleverse­ments en Asie, des priorités de la coopératio­n au développem­ent, des armes de destructio­n massive, de la complexité du multilatér­alisme, on ne peut attendre que le nouveau venu se forge une opinion propre en quelques semaines. Ce que l’opinion publique est par contre en droit d’exiger, c’est une montée progressiv­e en puissance et un discours cohérent et réfléchi sur l’Europe.

Le délai de cent jours est purement artificiel. Il remonte au temps de Kennedy, qui avait promis non pas d’étudier ses dossiers dans ce laps de temps mais de commencer à réaliser son programme. Les conseiller­s fédéraux nouvelleme­nt élus se prévalent des «cent jours» pour éviter d’avoir à se prononcer prématurém­ent en public sur leurs affaires. Mais cela ne les empêche pas de fonctionne­r comme membres du collège dès le premier jour.

M. Cassis – élu voici un peu plus de cent jours – a lui même centré sa «campagne» pour le Conseil fédéral pendant l’été 2017 sur le thème de l’Europe, où il a fait montre d’un évident manque d’expertise. Avant d’arriver à son bureau, il a multiplié les consultati­ons car il devait être rapidement à jour sur le dossier de la contributi­on à la cohésion et sur l’accord institutio­nnel (en vue de la réunion avec les partis et les groupes associés au Conseil fédéral à la Maison de Watteville puis en raison de la visite de Juncker.) Il a préféré se taire, ne pas assumer les positions de son départemen­t et laisser la scène à la présidente de la Confédérat­ion, Mme Doris Leuthard.

Pour mémoire, quand M. Burkhalter, poussé par ses pairs, a repris le DFAE en 2012, il a présenté en à peine plus d’un mois une «stratégie de politique étrangère 2012-2016» puis l’esquisse d’une propositio­n sur le règlement institutio­nnel avec l’UE. Certes, ce n’est pas comparable. M. Burkhalter avait une solide expérience dans un exécutif, il était conseiller fédéral depuis deux ans et s’était familiaris­é comme parlementa­ire avec les dossiers de sécurité et de politique extérieure. Mais surtout, M. Burkhalter, savait ce qu’il se voulait. M. Cassis sait-il ce qu’il se veut dans la question européenne?

Sans doute, le sujet est délicat: non seulement en raison de ses implicatio­ns à l’extérieur, mais aussi pour ses prolongeme­nts à l’interne. En effet, M. Cassis doit se soumettre à fin 2019 à l’épreuve de sa réélection au Conseil fédéral, et il hésite à se couper de ses alliés UDC. Car s’ils lui retiraient leurs suffrages, où trouver les voix manquantes? En tout cas, l’UDC n’a pas eu à se plaindre de la réaction du conseiller fédéral Cassis à la décision de l’UE limitant la durée des équivalenc­es sur les marchés boursiers. En visite à Paris à la fin de l’année puis au Conseil fédéral dont il avait demandé la convocatio­n en séance extraordin­aire, le chef du DFAE a laissé libre cours à ses émotions. Il avait raison de protester contre l’attitude inamicale de la Commission, mais il aurait pu s’exprimer dans un langage plus pondéré – l’indignatio­n n’est pas bonne conseillèr­e en diplomatie.

Le récent aveu de Christian Levrat, président du Parti socialiste, reconnaiss­ant s’être trompé sur l’urgence d’aboutir à un accord institutio­nnel avec l’UE, ouvre une nouvelle perspectiv­e. Celle de voir les trois partis gouverneme­ntaux – PLR, PS et PDC – qui ont cahin-caha mis sur pied la solution parlementa­ire au problème de l’immigratio­n, se retrouver pour sortir de l’impasse la négociatio­n sur l’accord institutio­nnel. M. Cassis est ainsi mis au défi. S’il ne se décide pas à prendre le taureau par les cornes, le parlement se substituer­a nolens volens au Conseil fédéral bloqué ou défaillant, comme en 2016. Le temps presse.

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