Ignazio Cassis doit enfin clarifier sa position sur l’Europe
Soyons sérieux: il faudra bien plus de cent jours au conseiller fédéral Ignazio Cassis pour maîtriser tous les dossiers de la politique étrangère. Qu’il s’agisse de la situation stratégique de la Suisse dans le conflit ukrainien et face aux grandes puissances, de la politique à mener au Moyen-Orient en pleine recomposition, des bouleversements en Asie, des priorités de la coopération au développement, des armes de destruction massive, de la complexité du multilatéralisme, on ne peut attendre que le nouveau venu se forge une opinion propre en quelques semaines. Ce que l’opinion publique est par contre en droit d’exiger, c’est une montée progressive en puissance et un discours cohérent et réfléchi sur l’Europe.
Le délai de cent jours est purement artificiel. Il remonte au temps de Kennedy, qui avait promis non pas d’étudier ses dossiers dans ce laps de temps mais de commencer à réaliser son programme. Les conseillers fédéraux nouvellement élus se prévalent des «cent jours» pour éviter d’avoir à se prononcer prématurément en public sur leurs affaires. Mais cela ne les empêche pas de fonctionner comme membres du collège dès le premier jour.
M. Cassis – élu voici un peu plus de cent jours – a lui même centré sa «campagne» pour le Conseil fédéral pendant l’été 2017 sur le thème de l’Europe, où il a fait montre d’un évident manque d’expertise. Avant d’arriver à son bureau, il a multiplié les consultations car il devait être rapidement à jour sur le dossier de la contribution à la cohésion et sur l’accord institutionnel (en vue de la réunion avec les partis et les groupes associés au Conseil fédéral à la Maison de Watteville puis en raison de la visite de Juncker.) Il a préféré se taire, ne pas assumer les positions de son département et laisser la scène à la présidente de la Confédération, Mme Doris Leuthard.
Pour mémoire, quand M. Burkhalter, poussé par ses pairs, a repris le DFAE en 2012, il a présenté en à peine plus d’un mois une «stratégie de politique étrangère 2012-2016» puis l’esquisse d’une proposition sur le règlement institutionnel avec l’UE. Certes, ce n’est pas comparable. M. Burkhalter avait une solide expérience dans un exécutif, il était conseiller fédéral depuis deux ans et s’était familiarisé comme parlementaire avec les dossiers de sécurité et de politique extérieure. Mais surtout, M. Burkhalter, savait ce qu’il se voulait. M. Cassis sait-il ce qu’il se veut dans la question européenne?
Sans doute, le sujet est délicat: non seulement en raison de ses implications à l’extérieur, mais aussi pour ses prolongements à l’interne. En effet, M. Cassis doit se soumettre à fin 2019 à l’épreuve de sa réélection au Conseil fédéral, et il hésite à se couper de ses alliés UDC. Car s’ils lui retiraient leurs suffrages, où trouver les voix manquantes? En tout cas, l’UDC n’a pas eu à se plaindre de la réaction du conseiller fédéral Cassis à la décision de l’UE limitant la durée des équivalences sur les marchés boursiers. En visite à Paris à la fin de l’année puis au Conseil fédéral dont il avait demandé la convocation en séance extraordinaire, le chef du DFAE a laissé libre cours à ses émotions. Il avait raison de protester contre l’attitude inamicale de la Commission, mais il aurait pu s’exprimer dans un langage plus pondéré – l’indignation n’est pas bonne conseillère en diplomatie.
Le récent aveu de Christian Levrat, président du Parti socialiste, reconnaissant s’être trompé sur l’urgence d’aboutir à un accord institutionnel avec l’UE, ouvre une nouvelle perspective. Celle de voir les trois partis gouvernementaux – PLR, PS et PDC – qui ont cahin-caha mis sur pied la solution parlementaire au problème de l’immigration, se retrouver pour sortir de l’impasse la négociation sur l’accord institutionnel. M. Cassis est ainsi mis au défi. S’il ne se décide pas à prendre le taureau par les cornes, le parlement se substituera nolens volens au Conseil fédéral bloqué ou défaillant, comme en 2016. Le temps presse.
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