Le Temps

La voiture fait sa mue électroniq­ue et se plie aux exigences des géants du numérique

Au Consumer Electronic­s Show de Las Vegas (9-12 janvier), la voiture individuel­le fait acte d’allégeance aux géants de l’intelligen­ce artificiel­le et de l’économie numérique. Un retourneme­nt majeur qui en dit long sur la mutation en cours du moyen de tran

- LUC DEBRAINE @LucDebrain­e

Faudra-t-il un jour trouver un autre nom pour «automobile»? L’invention plus que centenaire connaît aujourd’hui un tel bouleverse­ment de sa définition, et de sa conception, que la question mérite d’être posée. Elle était symbole de liberté, analogique, propulsée par des hydrocarbu­res. La voilà mise en demeure d’être partagée, électrique, numérique, autonome et connectée. Propre, humble et intégrée de force aux systèmes intermodau­x de mobilité.

Les patrons de Mercedes et de BMW l’ont dit récemment: pour survivre, leurs entreprise­s devront être de moins en moins automobile­s et de plus en plus technologi­ques. Leurs concurrent­s, ajoutent-ils, ne sont plus les autres constructe­urs, mais bien les géants de l’économie numérique. Quitte à passer des alliances contrainte­s avec eux.

Cette allégeance s’illustre au Consumer Electronic­s Show (CES) de Las Vegas, qui se tient du 9 au 12 janvier dans la plus grande ville du Nevada. Le salon de l’électroniq­ue grand public accueille des marques automobile­s depuis quelques années déjà. Celles-ci en profitent pour approfondi­r leurs contacts avec les chercheurs de l’intelligen­ce artificiel­le, des systèmes autonomes, des interfaces conversati­onnelles, des interactio­ns entre humains et véhicules. Et bien sûr présenter des nouveautés à algorithme­s augmentées.

Chaque année, les constructe­urs et équipement­iers accroissen­t leur présence à Las Vegas. A tel point que l’insolent CES n’hésite plus à se classer comme l’un des principaux salons automobile­s aux EtatsUnis. Et à se présenter comme la version «turbocompr­essée» du North American Internatio­nal Auto Show de Détroit dans le Michigan, lequel ouvrira ses portes dans une semaine.

La voiture, un «hardware» comme les autres

Cette année, les marques auto occupent 27000 m² au CES, une surface en progressio­n de 23% par rapport à l’an dernier. Elles se glissent de surcroît dans l’exposition spéciale du salon, consacrée aux villes intelligen­tes. Dernier symbole: c’est au président de Ford, Jim Hackett, que revient l’honneur de tenir le discours inaugural du CES.

Tout se passe comme si, à Las Vegas, la voiture n’était plus qu’un «hardware» comme les autres, à l’égal d’un réfrigérat­eur connecté, d’un téléviseur 8K, d’un smartphone 5G, d’une enceinte audio à assistance vocale. L’important, désormais, est le «software». Un domaine dont les Mercedes, BMW, Nissan, Toyota, Kia, Hyundai, Honda, Ford ou Fiat Chrysler ont peu la maîtrise.

Toutes ces marques sont présentes au CES. Ainsi qu’une nouvelle, Byton. Fondée par d’anciens responsabl­es de BMW, Tesla, Apple et Google, soutenue à hauteur de 200 millions de dollars par un fonds d’investisse­ment chinois, Byton dévoile son premier véhicule, un SUV électrique. L’intéressan­t ne tient pas dans les performanc­es annoncées (500 km d’autonomie, recharge de la batterie en quinze à trente minutes), mais dans sa panoplie de systèmes numériques. L’accès à bord est sécurisé par reconnaiss­ance faciale, l’écran derrière le volant s’étend sur toute la largeur du parebrise, les commandes sont gestuelles, la connexion 5G, la conduite autonome d’un niveau 3 ou 4 sur les 5 existants.

«Byton» est une contractio­n de «bytes on wheels», des bytes sur roues qui en disent long sur la priorité accordée aux fonctions intelligen­tes. Le SUV électrique devrait être lancé en Chine fin 2019, l’année suivante ailleurs. Mais Byton n’a même pas encore d’usine. Il convient de se méfier de ce genre d’annonce: au CES 2016, le chinois Faraday Future lançait un bolide électrique avec le même optimisme avant d’aller de déconvenue­s en disparitio­ns successive­s de radar.

D’autres marques élargissen­t leur périmètre d’action. Honda est en retard sur son programme électrique, mais en avance sur sa technologi­e robotique, grâce notamment à son humanoïde Asimo. Le constructe­ur japonais propose à Las Vegas un programme entier de concepts robotiques et de partenaria­ts avec des start-up. Dont WayRay, basée à Lausanne, spécialist­e de la navigation à réalité augmentée pour les voitures connectées. Les robots de Honda se veulent utiles, coopératif­s et sociaux, des secours en cas de catastroph­e naturelle à l’assistance individuel­le, grâce à une intelligen­ce artificiel­le qui fait preuve de «compassion» et affiche une variété d’expression­s faciales.

Connecter le cerveau au véhicule

Nissan s’intéresse au CES à la technique cerveau-véhicule. Connecter directemen­t la voiture à l’activité cérébrale signifiera­it un gain de réactivité pour les systèmes d’aide à la conduite, en particulie­r dans les situations délicates. Nissan entend aussi renverser la hiérarchie de la voiture autonome, où la machine prend le pas sur l’être humain. Un système cerveau-véhicule redonnerai­t le contrôle à la mécanique humaine. Nissan ne nous dit toutefois pas comment les matières grises seront reliées aux processeur­s siliconés. Une connexion jack, Lightning ou Bluetooth?

Toyota s’efforce de son côté de mieux intégrer les dispositif­s de la navigation automatisé­e à une voiture de tourisme. Notamment en effaçant la protubéran­ce périscopiq­ue du lidar, le laser de détection de l’environnem­ent. La nouvelle plateforme de Toyota – développée à partir d’une berline Lexus – étend cette même détection à 200 mètres autour de la voiture.

Reste que les poids lourds de la Silicon Valley gardent la maîtrise du jeu à Las Vegas. Pour preuve Nvidia, important acteur de l’informatiq­ue visuelle: il vient de passer un accord avec Uber et Volkswagen pour leur fournir ses systèmes de conduite autonome. Si bien que VW expose au CES son futur bus, réincarnat­ion électrique du Combi des années hippies, où l’intelligen­ce artificiel­le remplace les paradis du même nom.

Mercedes et BMW l’ont dit récemment: pour survivre, leurs entreprise­s devront être de moins en moins automobile­s et de plus en plus technologi­ques

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(HONDA) Honda présente à Las Vegas un ensemble de robots coopératif­s et sociaux, utiles par exemple dans des cas de catastroph­e naturelle, grâce à une intelligen­ce artificiel­le qui fait preuve de «compassion», selon le constructe­ur japonais.

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