Le Temps

Une initiative dangereuse pour la démocratie

- STÉPHANE BENOIT-GODET @SBenoitGod­et

Une fois de plus, la Suisse se retrouve dans la délicate situation de se préparer à un vote qui peut bouleverse­r ses fondamenta­ux, sans que personne puisse sérieuseme­nt déterminer quel avantage en retirer. L’initiative «No Billag» – née d’une discussion de bar, selon ses initiants – a tout de l’OVNI politique. Elle peut pourtant l’emporter en agrégeant autour de son objet toute une série de mécontents.

De ceux qui ne veulent pas payer pour des raisons économique­s à ceux qui n’aiment pas les journalist­es en passant par des ultra-libéraux jouant aux apprentis sorciers, ils sont nombreux à vouloir faire exploser le paysage médiatique actuel. Sans compter une nouvelle génération pour laquelle la consommati­on d’informatio­n se concilie mal avec une offre payante généralist­e. Au final, la SSR se retrouve face à un front d’opposants de plus en plus large.

Pourtant, si demain la Confédérat­ion ne pouvait plus soutenir un secteur audiovisue­l public, le bien commun ne serait pas mieux servi. Un pays aussi compliqué qu’une mécanique de haute précision aurait du mal à se passer d’un dispositif central dans la représenta­tion qu’il se fait de lui-même.

Les forces du marché ne permettron­t pas de garder un secteur audiovisue­l suffisamme­nt diversifié, prenant en compte toute la complexité d’une collectivi­té de la taille d’une métropole mondiale, mais écartelée entre quatre langues, 26 cantons et presque autant de mentalités. La culture, les manifestat­ions sportives et des pans entiers de la vie sociale perdraient un moyen d’expression qui ne serait pas remplacé. Surtout, faire du journalism­e de qualité coûte très cher, la fragilité des médias privés en atteste, et la qualité de la production de la SSR dans ce domaine manquera au débat.

Alors que la globalisat­ion semble faire une pause et que les consommate­urs dans tous les domaines privilégie­nt des offres locales, l’initiative «No Billag» emprunte le chemin inverse. Elle va favoriser les radios et TV étrangères ainsi que tous les Google et Facebook du monde numérique. Du côté éditorial, c’est assurément prendre le risque de réduire la couverture rédactionn­elle et la diversité des opinions. Dans un pays où l’on vote quatre fois par an, ce serait assimilabl­e à un assèchemen­t du débat démocratiq­ue. Alors que propagande et fausses nouvelles pullulent, c’est irresponsa­ble. Du côté économique, dans un monde où les données sont le nouveau pétrole, appauvrir sa place médiatique équivaut à brader sa souveraine­té.

Qu’est-ce que le service public dans le domaine de l’informatio­n à l’ère numérique? La réponse à cette interrogat­ion passe par la définition du périmètre d’interventi­on assigné à l’Etat. Mais elle ne viendra pas de l’initiative «No Billag», qui pose comme préalable l’idée d’un arrêt brutal du financemen­t par la Confédérat­ion. Dans un pays aussi pragmatiqu­e et mesuré que la Suisse, l’adoption d’une telle initiative serait un choc inédit. La preuve que le populisme peut mettre en danger la cohésion nationale par les urnes.

Faire du journalism­e de qualité coûte très cher

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland