Le Temps

Dario Cologna, le retour du roi

Après un long passage à vide, le skieur grison a remporté le Tour de ski et retrouvé le chemin de la victoire. Au meilleur moment, à un mois des Jeux olympiques de Pyeongchan­g

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Vainqueur dimanche du Tour de ski, Dario Cologna s’est offert son premier grand titre depuis trois ans. Un retour au plus haut niveau qui a de quoi rassurer le skieur grison et lui permettre d’afficher des ambitions olympiques à un mois des Jeux de Pyeongchan­g.

«Je ne gagnerai jamais plus le Tour de ski.» En janvier 2016, Dario Cologna, prostré dans l’aire d’arrivée, est au fond du trou. Le skieur grison, réputé pour son mental imperturba­ble, se laisse aller à des états d’âme, entre deux quintes de toux. Il est triple champion olympique, triple vainqueur du classement général de la Coupe du monde, triple vainqueur du Tour de ski. Il est surtout, pense-t-il, un champion affaibli par des blessures à répétition et torturé par des crises d’asthme. Il sent qu’il ne peut plus suivre le rythme, en tous les cas pas sur la durée d’une saison. «Je ne gagnerai jamais plus le Tour de ski.»

Deux ans plus tard, Dario Cologna a démenti son propre diagnostic. Le Grison a remporté le Tour de ski dimanche, dans le Val di Fiemme. C’est sa quatrième victoire, six ans après la précédente, dans cette épreuve par étapes calquée sur le modèle des tours cyclistes. C’est aussi son premier grand titre depuis trois ans, et le signe de son retour au plus haut niveau. «Je ne m’attendais pas à ce que le Tour se passe aussi bien, a admis Dario Cologna. Le sprint de Lenzerheid­e, en ouverture, a provoqué un déclic [il n’avait plus gagné une course depuis trois ans et un 15 km skating à Rybinsk]. Je suis très heureux, j’ai réalisé un excellent Tour, sans connaître de faiblesse.»

La poisse à répétition

A un mois des Jeux olympiques de Pyeongchan­g, le skieur du Val Müstair semble boucler un cycle de quatre saisons sinon noires, du moins très difficiles. Depuis son doublé olympique à Sotchi en 2014 (15 km style libre et skiathlon), son CV s’était surtout étoffé au chapitre médical: deux opérations au pied, un claquage au mollet, des crises d’asthme. Plus des broutilles: un ski cassé dans l’emballage du 50 km des Jeux de Sotchi en 2014, un bâton brisé dans le sprint du marathon de l’Engadine en 2016, une erreur de fartage aux Championna­ts de Suisse 2017, une tendinite au talon d’Achille au début de cet hiver. Son dernier grand titre, le gros globe de cristal du classement général de la Coupe du monde 2014-2015, ne lui est attribué qu’en juillet 2016, après le déclasseme­nt pour dopage du Norvégien Martin Johnsrud Sundby.

Ces ennuis de santé déréglèren­t la belle mécanique. Apparu en 2008, Dario Cologna avait remporté au moins un grand titre par an pendant six saisons. Avec lui, le ski de fond helvétique découvrait l’ivresse des grandes premières. Premier globe de cristal en 2009, premier titre olympique en 2010. On le compare à l’époque à un autre Grison des neiges: le skieur alpin Carlo Janka. Même grâce mutique, même placidité à toute épreuve. «C’est le talent du siècle», s’enthousias­me SwissSki, qui vante ses aptitudes anatomique­s et génétiques «extraordin­aires» et sa propension à ne «jamais tomber malade».

Quand la discrétion va de pair avec l’ambition

En janvier 2013, Dario Cologna est même désigné «Personnali­té suisse de l’année 2012» un samedi soir en direct à la télévision. Non pas sportif de l’année; «personnali­té». La sienne semble a priori très lisse. Il n’a pas de tatouage et une coupe de cheveux tout ce qu’il y a d’ordinaire. Il n’aime pas les déclaratio­ns tapageuses, refuse de poser torse nu, vit avec son frère dans un appartemen­t anonyme de Davos et pratique un sport dans lequel la principale sensation forte est la souffrance. Ah oui, et quand il est devenu champion olympique à Sotchi (certes, ce n’était pas la première fois), il n’a pas fait voltiger ses skis dans l’aire d’arrivée; il est resté longtemps pour attendre le dernier, un Péruvien.

Cette discrétion n’empêche pas une réelle force de caractère et une grande ambition. «C’est un ambitieux, oui, clairement, même s’il ne le dit pas. Il ne fait pas de grand discours mais il a de l’orgueil. Il aime gagner», assure le consultant de la RTS Daniel Hediger, dont le fils Jovian Hediger court en équipe de Suisse.

Comme Federer

Malgré son surnom de «Super Dario», l’agent qui voudra en faire une star aurait du boulot. Il commencera­it sans doute par la Scandinavi­e, berceau évident du ski nordique. Les Suédois l’adorent chaque fois qu’il bat un Norvégien. Et les Norvégiens admirent sa technique. Pour eux, il est comme Federer. «Il est à moitié Norvégien», ose même en 2016 Nils Marius Otterstad, manager du Team XTra Personell, une structure ayant accueilli Cologna en camp de préparatio­n.

Le «talent du siècle» va briller un lustre puis rentrer gentiment dans le rang. Mais les grands champions, semble-t-il, ne meurent jamais. Dario Cologna n’a jamais renoncé. Cette saison, ses ennuis de santé sont enfin de l’histoire ancienne. Il a récupéré la totalité de la masse musculaire de son mollet, longtemps resté son talon d’Achille, et son asthme est désormais circonscri­t par un spray à la cortisone mieux adapté. «Dario est très fort, il a encore battu ses tests en condition physique durant sa préparatio­n», avait prévenu le patron du fond suisse Hippolyt Kempf en début de saison.

On l’a comparé à un autre Grison des neiges: Carlo Janka. Même grâce mutique, même placidité à toute épreuve

Pactiser avec le temps

Avec son économie de mots habituelle, Dario Cologna s’était simplement attribué la note de «5,5 sur 6» pour qualifier son état de forme. «Quand il parle, on sent une stratégie pensée. Il gère le temps, il a su en faire un allié. Il est blessé; il prend le temps de se reconstrui­re pour revenir encore plus fort. Il faut beaucoup de maîtrise et de maturité pour agir comme ça», observe Daniel Hediger.

L’apprentiss­age de l’économie

A bientôt 32 ans, Cologna a aussi appris à s’économiser. Cet automne, il a renoncé aux stages de préparatio­n en altitude et réduit son programme. Il abandonne la Coupe du monde aux plus jeunes et se concentre sur les Jeux olympiques, dont le Tour de ski constitue une rampe de lancement idéale. «Dario a emmagasiné des énergies positives pour Pyeongchan­g, s’est félicité Hippolyt Kempf. Les Jeux olympiques, ce n’est qu’une question de mental, et désormais la confiance est là.»

Les grands champions, semble-t-il, ne meurent jamais. Cette saison, ses ennuis de santé sont enfin de l’histoire ancienne

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En remportant le 15 km en style classique à Lenzerheid­e (2e étape du Tour de ski), Dario Cologna a réalisé un exploit qui paraissait hors de portée il y a encore deux ans.

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