L’impact politique du brûlot anti-Trump
«Fire and Fury» a provoqué la rupture entre le président américain et son ex-conseiller stratégique Steve Bannon. Il pourrait paradoxalement faciliter un rapprochement entre le Bureau ovale et les républicains du Congrès
Si Fire and Fury, le livre choc de Michael Wolff, embrase la Maison-Blanche, son impact fait aussi bouger les lignes à droite de l’échiquier politique américain. Les républicains comptent bien profiter de la marginalisation de Steve Bannon, héraut de la droite nationaliste américaine.
Les Américains assistent-ils depuis quelques jours à un «moment Watergate», comme le décrit Michael Wolff dans son livre «Fire and Fury»? Outre-Atlantique, on s’arrache depuis vendredi l’ouvrage qui décrit de façon détaillée le chaos qui règne à la Maison-Blanche depuis que Donald Trump y a accédé le 20 janvier 2017. Beaucoup veulent savoir pourquoi l’auteur juge le milliardaire newyorkais inapte à la fonction présidentielle.
L’impact de ce brûlot rédigé par un auteur qui ne s’embarrasse pas toujours de la rigueur journalistique ne sera peut-être pas de l’ampleur du Watergate, mais il n’en demeurera pas moins considérable. Mark Leibovich, journaliste et excellent connaisseur de Washington, l’a constaté en interviewant des élus républicains au Capitole. 80% d’entre eux ont exigé de ne pas être cités quand il leur a posé la question de la santé mentale du président.
Livre «poubelle»
Le livre est très dommageable pour Trump. Mais, politiquement, les républicains espèrent pouvoir en profiter. Dimanche, les proches du président ont multiplié les apparitions sur les talk-shows dominicaux pour discréditer l’auteur ainsi que celui qui l’a grandement aidé par ses confidences explosives: l’ex-stratège en chef de la Maison-Blanche, Steve Bannon. Le plus outrancier dans l’exercice fut sans doute Stephen Miller, un ex-proche de Bannon, qui a qualifié Michael Wolff d’«auteur poubelle» et son ouvrage de «livre poubelle».
Le Parti républicain n’est pas resté inactif. Il a publié une fausse couverture de livre intitulée «Liar and Phony (Menteur et imposteur)». Ancien conseiller de politique intérieure du président Bill Clinton, William Galston dépeint le paradoxe de la situation: «Le livre va rapprocher la Maison-Blanche des républicains du Congrès. Donald Trump sera moins enclin à soutenir, à l’image de Roy Moore en Alabama, des candidats qui mèneront une insurrection contre l’élite du Parti républicain lors des élections de mi-mandat de novembre.» Motif de ce possible rapprochement: la rupture brutale entre le président et Steve Bannon, qui a joué un rôle majeur dans le positionnement de Trump dans la dernière ligne droite de la présidentielle 2016. En le poussant à adopter une ligne politique nationaliste, suprémaciste et nativiste sans concession. Un Bannon qui l’a aussi incité à adopter, dès ses premiers jours au Bureau ovale, un décret interdisant le territoire des Etats-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans.
Ancien patron du média d’extrême droite Breitbart, Steve Bannon a tenu des propos très critiques dans le livre mais, face aux feux croisés dont il a été l’objet au cours du week-end, il s’est liquéfié, soulignant qu’il adhérait encore pleinement à l’agenda de Donald Trump. Un autre facteur explique la reculade de l’ex-stratège. Steve Bannon a été lâché par la richissime famille Mercer, qui pourrait même sommer Breitbart de le licencier. Or, même hors de la Maison-Blanche dont il a été limogé en été 2017, Steve Bannon nourrissait de grandes ambitions: poursuivre une politique national-populiste dans l’optique des élections de mi-mandat avec son organisation Citizens of the American Republic.
Face aux feux croisés dont il a été l’objet, Steve Bannon s’est liquéfié
Des «collabos»
Le malaise chez les républicains demeure réel, même s’il est inavouable. Depuis que Trump est à la Maison-Blanche, ils n’ont pas bronché face aux outrages du président, aux dangereux tweets sur la Corée du Nord ou à la décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël. Ils semblent par ailleurs indifférents aux avertissements de psychiatres au sujet de la santé mentale du président. L’éditorialiste du New York Magazine et producteur de la série Veep, Frank Rich, a un mot pour les qualifier: «des Vichy-Republicans», des collabos prêts à sacrifier la démocratie américaine sur l’autel d’intérêts partisans et incapables de jouer leur rôle de contre-pouvoir.
L’ex-conseiller de Bill Clinton William Galston a son explication. «Les différentes ailes du Parti républicain ont obtenu ce qu’elles voulaient avec Trump, dit-il. Ils ont voulu leur juge Gorsuch à la Cour suprême. Ils l’ont eu. L’aile économique a obtenu sa réforme fiscale, sa dérégulation afin de réduire la taille de l’Etat. Même s’ils n’apprécient pas la conduite du président, ils tirent profit de sa politique. Mais attention. Si Trump décide de retirer le pays du traité de libreéchange Alena, il risque de s’aliéner la branche agricole des républicains. S’il décide de mener une guerre commerciale contre la Chine, nombre de responsables de multinationales soutenant les républicains pourraient se fâcher.»
Professeur à l’Université Columbia à New York, le politologue Robert Shapiro le souligne: «Trump et le Parti républicain ont conscience qu’ils doivent travailler ensemble pour garder le contrôle des deux chambres du Congrès en 2018 et la présidence en 2020.» A Camp David il y a quelques jours, les chefs de file républicains du Congrès Paul Ryan et Mitch McConnell en ont donné un exemple, acquiesçant aux propos de leur président. Répondant aux attaques du livre de Wolff, Donald Trump déclarait: «Je suis un génie très stable.»
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