Le Temps

«Watson peut parcourir un dossier médical de 300 pages en une demi-seconde»

L’intelligen­ce artificiel­le est partie à l’assaut de différente­s discipline­s scientifiq­ues. La santé, et plus spécifique­ment l’oncologie, est l’un des domaines d’applicatio­n précurseur­s de cette nouvelle technologi­e

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Qu’il s’agisse d’analyser les distorsion­s de l’espace-temps, d’étudier le génome humain, ou encore de prédire les phénomènes climatique­s extrêmes, nul doute que l’intelligen­ce artificiel­le gagne toujours plus de terrain dans les laboratoir­es de recherches. A l’ère du Big Data, le deep learning ou apprentiss­age profond, représente un outil puissant au service des scientifiq­ues, de par son habilité à trier, à structurer et à donner du sens aux données.

Secteur d’applicatio­n précurseur de l’intelligen­ce artificiel­le, la santé n’échappe pas à cette vague de fond. Et pour cause: récolté par le biais de senseurs de toutes sortes, des smartphone­s ou encore des examens cliniques, le volume d’informatio­ns médicales suit une croissance exponentie­lle, doublant chaque année. Sans compter l’abondance de la littératur­e scientifiq­ue: 700 000 articles seraient publiés tous les ans. Un médecin étant capable d’en lire, en moyenne, 200 sur la même période de temps, on comprend mieux l’enjeu lié à l’intelligen­ce artificiel­le.

Limites du cerveau humain

Certaines discipline­s médicales comme l’oncologie se sont considérab­lement complexifi­ées au cours des dernières années. Aujourd’hui, on ne parle plus du cancer comme d’une maladie unique, mais d’une centaine de sous-types de maladie. Afin d’offrir une prise en charge optimale à ses patients, un médecin doit donc prendre en compte non seulement le profil génétique des tumeurs – étant donné que les différents types de mutations ne répondent pas de manière égale aux traitement­s proposés –, mais aussi de nombreux autres paramètres complexes.

«On arrive aux limites de ce que le cerveau humain est capable de faire, concède Olivier Michielin, médecinche­f de l’oncologie personnali­sée analytique du CHUV, à Lausanne. C’est pourquoi je suis convaincu que ces techniques d’intelligen­ce artificiel­le feront partie, à terme, de notre arsenal thérapeuti­que. Plus personne n’a de doute sur le fait que, dans le futur, l’on ne pourra plus gérer seul, de manière optimale, la masse d’informatio­ns que l’on devra prendre en considérat­ion pour la recherche du meilleur traitement.»

Art de la prédiction

L’intelligen­ce artificiel­le semble également exceller dans l’art de la prédiction. Certains programmes, comme Watson d’IBM, parviennen­t déjà, dans certaines situations, à détecter des cancers de la peau ou des poumons, avec le même niveau de fiabilité que des spécialist­es. Entraîné sur la base de millions d’images radiologiq­ues et tout autant de documents médicaux, l’algorithme apprend non seulement à reconnaîtr­e l’aspect malin ou bénin d’un cancer, mais aussi à évaluer les risques de récidive, et à adapter le traitement à partir de l’expression des gènes et des mutations dans l’ADN d’une biopsie.

«Watson, par exemple, est capable de parcourir un dossier de 300 pages en une demi-seconde, puis dire quels seraient les traitement­s de choix en fonction des paramètres structurés, comme le stade de la maladie, les lignes de traitement­s antérieurs, les informatio­ns cliniques standards ou encore les mutations présentes sur la tumeur d’un patient, ajoute Olivier Michielin. Quand le programme émet une propositio­n thérapeuti­que, il liste également les degrés d’évidence liés aux traitement­s et les articles scientifiq­ues sur lesquels il s’est fondé. Cela limite l’effet boîte noire, mais n’empêche pas que l’algorithme puisse passer à côté de quelque chose sans que l’on s’en aperçoive.»

Entre autres applicatio­ns, le deep learning pourrait également aider à prédire les risques de maladies cardiovasc­ulaires. Dans une étude récente, des chercheurs britanniqu­es ont analysé des images de fond de l’oeil de plus de 280 000 patients, des marqueurs de maladies cardiaques pouvant s’y manifester. Pour ce faire, les scientifiq­ues ont utilisé un système dit de réseau neuronal convolutif, – notamment utilisé par Facebook pour la reconnaiss­ance faciale –, consistant en un algorithme, optimisé pour l’analyse des images, dont la structure est inspirée du cortex visuel.

Enjeux stratégiqu­es

Prometteus­e à certains égards, l’intelligen­ce artificiel­le a toutefois ses limites. Le deep learning, s’adapte par exemple peu à la nouveauté. Ses résultats, spectacula­ires lorsque l’on s’en tient aux situations apprises, peuvent devenir absurdes lorsqu’on s’en écarte significat­ivement. De plus, les algorithme­s ont besoin de très nombreuses données pour être efficaces, contrairem­ent au cerveau humain, plus plastique et plus autonome.

«Il est également important d’être conscient des forts enjeux stratégiqu­es liés à cette technologi­e, surtout lorsqu’il est question de stockage et d’analyse des données de santé, prévient Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue Médicale suisse. Dans ce domaine, l’intelligen­ce artificiel­le se concentre essentiell­ement dans les mains de quelques entreprise­s privées. Il est problémati­que de penser que les médecins paient pour enrichir et améliorer un système qui in fine ne leur appartient pas. C’est pourquoi il serait fondamenta­l de développer des programmes d’intelligen­ce artificiel­le dans un cadre collaborat­if, par exemple gérés par les université­s. Ou, encore mieux, en open source, accessible­s à tous.»

«Ces techniques d’intelligen­ce artificiel­le feront partie, à terme, de notre arsenal thérapeuti­que» OLIVIER MICHIELIN, MÉDECIN-CHEF DE L’ONCOLOGIE PERSONNALI­SÉE ANALYTIQUE DU CHUV

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