«Watson peut parcourir un dossier médical de 300 pages en une demi-seconde»
L’intelligence artificielle est partie à l’assaut de différentes disciplines scientifiques. La santé, et plus spécifiquement l’oncologie, est l’un des domaines d’application précurseurs de cette nouvelle technologie
Qu’il s’agisse d’analyser les distorsions de l’espace-temps, d’étudier le génome humain, ou encore de prédire les phénomènes climatiques extrêmes, nul doute que l’intelligence artificielle gagne toujours plus de terrain dans les laboratoires de recherches. A l’ère du Big Data, le deep learning ou apprentissage profond, représente un outil puissant au service des scientifiques, de par son habilité à trier, à structurer et à donner du sens aux données.
Secteur d’application précurseur de l’intelligence artificielle, la santé n’échappe pas à cette vague de fond. Et pour cause: récolté par le biais de senseurs de toutes sortes, des smartphones ou encore des examens cliniques, le volume d’informations médicales suit une croissance exponentielle, doublant chaque année. Sans compter l’abondance de la littérature scientifique: 700 000 articles seraient publiés tous les ans. Un médecin étant capable d’en lire, en moyenne, 200 sur la même période de temps, on comprend mieux l’enjeu lié à l’intelligence artificielle.
Limites du cerveau humain
Certaines disciplines médicales comme l’oncologie se sont considérablement complexifiées au cours des dernières années. Aujourd’hui, on ne parle plus du cancer comme d’une maladie unique, mais d’une centaine de sous-types de maladie. Afin d’offrir une prise en charge optimale à ses patients, un médecin doit donc prendre en compte non seulement le profil génétique des tumeurs – étant donné que les différents types de mutations ne répondent pas de manière égale aux traitements proposés –, mais aussi de nombreux autres paramètres complexes.
«On arrive aux limites de ce que le cerveau humain est capable de faire, concède Olivier Michielin, médecinchef de l’oncologie personnalisée analytique du CHUV, à Lausanne. C’est pourquoi je suis convaincu que ces techniques d’intelligence artificielle feront partie, à terme, de notre arsenal thérapeutique. Plus personne n’a de doute sur le fait que, dans le futur, l’on ne pourra plus gérer seul, de manière optimale, la masse d’informations que l’on devra prendre en considération pour la recherche du meilleur traitement.»
Art de la prédiction
L’intelligence artificielle semble également exceller dans l’art de la prédiction. Certains programmes, comme Watson d’IBM, parviennent déjà, dans certaines situations, à détecter des cancers de la peau ou des poumons, avec le même niveau de fiabilité que des spécialistes. Entraîné sur la base de millions d’images radiologiques et tout autant de documents médicaux, l’algorithme apprend non seulement à reconnaître l’aspect malin ou bénin d’un cancer, mais aussi à évaluer les risques de récidive, et à adapter le traitement à partir de l’expression des gènes et des mutations dans l’ADN d’une biopsie.
«Watson, par exemple, est capable de parcourir un dossier de 300 pages en une demi-seconde, puis dire quels seraient les traitements de choix en fonction des paramètres structurés, comme le stade de la maladie, les lignes de traitements antérieurs, les informations cliniques standards ou encore les mutations présentes sur la tumeur d’un patient, ajoute Olivier Michielin. Quand le programme émet une proposition thérapeutique, il liste également les degrés d’évidence liés aux traitements et les articles scientifiques sur lesquels il s’est fondé. Cela limite l’effet boîte noire, mais n’empêche pas que l’algorithme puisse passer à côté de quelque chose sans que l’on s’en aperçoive.»
Entre autres applications, le deep learning pourrait également aider à prédire les risques de maladies cardiovasculaires. Dans une étude récente, des chercheurs britanniques ont analysé des images de fond de l’oeil de plus de 280 000 patients, des marqueurs de maladies cardiaques pouvant s’y manifester. Pour ce faire, les scientifiques ont utilisé un système dit de réseau neuronal convolutif, – notamment utilisé par Facebook pour la reconnaissance faciale –, consistant en un algorithme, optimisé pour l’analyse des images, dont la structure est inspirée du cortex visuel.
Enjeux stratégiques
Prometteuse à certains égards, l’intelligence artificielle a toutefois ses limites. Le deep learning, s’adapte par exemple peu à la nouveauté. Ses résultats, spectaculaires lorsque l’on s’en tient aux situations apprises, peuvent devenir absurdes lorsqu’on s’en écarte significativement. De plus, les algorithmes ont besoin de très nombreuses données pour être efficaces, contrairement au cerveau humain, plus plastique et plus autonome.
«Il est également important d’être conscient des forts enjeux stratégiques liés à cette technologie, surtout lorsqu’il est question de stockage et d’analyse des données de santé, prévient Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue Médicale suisse. Dans ce domaine, l’intelligence artificielle se concentre essentiellement dans les mains de quelques entreprises privées. Il est problématique de penser que les médecins paient pour enrichir et améliorer un système qui in fine ne leur appartient pas. C’est pourquoi il serait fondamental de développer des programmes d’intelligence artificielle dans un cadre collaboratif, par exemple gérés par les universités. Ou, encore mieux, en open source, accessibles à tous.»
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«Ces techniques d’intelligence artificielle feront partie, à terme, de notre arsenal thérapeutique» OLIVIER MICHIELIN, MÉDECIN-CHEF DE L’ONCOLOGIE PERSONNALISÉE ANALYTIQUE DU CHUV